Fortes chaleurs dans les transports : quelles perspectives de classe pour faire face aux conséquences du réchauffement climatique ?
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La vague de chaleur de juin, particulièrement longue et intense, a notamment touché les transports en commun. Et, contrairement aux épisodes caniculaires de juillet et août, elle a eu lieu avant les vacances d’été, soit à un moment où l’activité et la fréquentation sont encore importantes. De quoi mettre les travailleurs du transport, les voyageurs et le matériel à rude épreuve. C’est moins l’écologie qui est « punitive » que le réchauffement climatique lui-même ! Bien des salariés l’ont senti, et l’on voit d’ailleurs les idées climato-sceptiques reculer, ce qui est positif.
Pour les militants révolutionnaires, cela change aussi la manière d’envisager la lutte écologique. Il ne s’agit plus seulement de dénoncer les effets néfastes du mode de production capitaliste sur l’environnement mais aussi de se battre concrètement pour faire face aux conséquences du réchauffement. C’est ce que les spécialistes du climat appellent « l’adaptation », à laquelle ils ne réfléchissent que dans le cadre de la société actuelle. Mais les mobilisations ouvrières, en posant cette question sur le terrain de la lutte des classes, permettent de l’aborder sous un angle nouveau.
Coup de chaud social pour faire face à la canicule
On ne peut pas travailler dans des véhicules surchauffés ou dans des ateliers de maintenance étouffants. Il faut donc des climatisations, de la ventilation, des temps de pause suffisants dans des endroits frais et avoir un accès à l’eau. C’est le minimum et pourtant, été après été, tout cela manque… sauf dans les bureaux des directions, plutôt bien équipés (au siège de la RATP, il y a même de l’eau pétillante !). Alors, en ce mois de juin, les actions collectives contre les conséquences de la chaleur se sont multipliées. Aux ateliers SNCF de Quatre-Mares (Rouen), un débrayage a obtenu l’accès à une fontaine à eau supplémentaire. À Montpellier, des conducteurs de cars de la filiale Transdev Occitanie Littoral ont fait grève pour que les véhicules soient climatisés. Et, si l’accès à la clim dans les bus n’était pas la revendication principale des journées de grève à Lyon (23 juin) et à Valenciennes (7 juillet), elle constituait toutefois un des carburants de la colère.
Il y a aussi la multitude des droits de retrait. On ne sait pas bien combien de travailleurs du transport en ont exercé un pour se soustraire à une situation dangereuse. La presse en parle peu : toute à ses obsessions sécuritaires, elle est plus bavarde quand il faut commenter les droits de retrait qui font suite à des agressions ! En termes de mobilisation et d’organisation collective, les droits de retrait sont certes d’un niveau inférieur à ce que permet une grève, mais ils contribuent à leur échelle au rapport de forces et à la prise en compte du problème par les travailleurs.
Quelles revendications immédiates contre la chaleur ?
Les entreprises et les autorités organisatrices développent vis-à-vis des salariés et des voyageurs une communication bien rodée : de plus en plus de véhicules et de lieux sont équipés de systèmes de rafraîchissement, et ceux qui ne le sont pas encore le seront prochainement. Mais la réalité est bien différente. Dans la région lilloise par exemple, des rames « VR2N » non pourvues de climatisation ont roulé tout le mois de juin : elles devaient cesser d’être utilisées pendant la « période estivale », mais celle-ci commençait seulement officiellement le 1er juillet !
Et du fait du manque de moyens, les clims défectueuses ne sont pas réparées. À Bordeaux, cinq mainteneurs doivent s’occuper de la clim de 450 bus ; à Lyon, dans une salle de pause des conducteurs de tramway, la clim ne marchait pas pendant la vague de chaleur, ce qui donnait envie à certains de se mettre au frais… en retournant travailler ! Les pannes sont en plus repérées toutes en même temps, les clims étant lancées quand il commence à faire chaud et non pas selon un plan de prévention qui permettrait de détecter les défaillances en amont.
Une première revendication est donc d’avoir des équipements de climatisation suffisants, et aussi d’avoir les moyens de les entretenir.
Mais la climatisation est loin d’être une solution miracle…
La climatisation ne règle pas tous les problèmes. Dans les véhicules, elle doit composer avec deux contraintes. D’abord, pour ne pas consommer trop d’énergie et éviter les chocs thermiques, la climatisation ne doit pas fonctionner trop fort. Généralement, elles sont relatives à la température extérieure (par exemple, il y a un écart de 4°C, ou de 5°C). Ensuite, les véhicules de transport en commun ouvrent par définition régulièrement leurs portes, ce qui réchauffe l’habitacle. Des solutions techniques peuvent limiter ce phénomène, comme des vitrages athermiques isolants, mais sans le supprimer totalement. Dans le cas des bus, les battements au terminus ne sont pas toujours suffisants pour les rafraîchir, d’autant plus que les bus thermiques devraient couper le moteur (par égard pour le voisinage et… le climat !), ce qui stoppe le fonctionnement de la climatisation. Cela dit, comme pour l’organisation de la société en général, les transports en commun sont préférables aux véhicules individuels : il est clair qu’un bus climatisé de 55 places rejette moins de chaleur vers l’extérieur que 11 voitures climatisées de cinq places !
Il y a aussi tous les bâtiments liés aux transports en commun (gares, ateliers, dépôts) et qui n’ont pas été conçus pour résister aux fortes chaleurs. Les ateliers, par exemple, ne sont pas isolants (vétustes, ils n’isolent parfois même pas de la pluie !) et l’air est constamment ventilé pour évacuer les fumées toxiques, ce qui ramène l’air chaud de l’extérieur à l’intérieur. Avec le port obligatoire des EPI (équipements de protection individuelle), c’est-à-dire pantalons, chaussures de sécurité, etc., l’usine devient un vrai sauna. Même problème pour le personnel de station et de bord. Au contact de la clientèle, il n’est pas toujours autorisé de porter un bermuda ou un short, même sous 40°C. Sans parler de l’architecture des gares, sont souvent de vraies serres avec leurs grandes verrières.
Et puis il y a toutes les infrastructures en extérieur. L’acier des rails de train et le cuivre des caténaires montent vite en température sous le soleil. À 38°C, les rails peuvent atteindre 60°C. Une herbe sèche pas loin et une étincelle au passage du train peuvent vite provoquer un incendie. La forte chaleur des matériaux entraîne aussi une dilatation des rails, qui, s’ils ne sont pas droits et parallèles, peuvent faire sortir le train de son lit. Le blanchiment des rails à la peinture a été expérimenté mais ne permet de baisser la température que de 4 ou 5°C –insuffisant…
Pour faire face à la chaleur, il faut réduire le temps de travail et s’organiser pour l’imposer
Si tout était climatisé, il ferait toujours aussi chaud dehors, voire plus chaud car les clims contribuent à l’échauffement des villes. Et qui dit chaleur, dit difficulté à récupérer en dehors du travail. C’est d’ailleurs le problème du décalage des horaires (commencer plus tôt pour finir plus tôt), proposé par exemple aux ateliers SNCF de Lille où le thermomètre a affiché jusqu’à 35°C : certes, cela évite les fortes chaleurs de la journée quand on travaille le matin, mais le temps de sommeil raccourcit, et sa qualité baisse avec la température qui monte.
En fait, le patronat et l’État font leur possible pour que les fortes chaleurs ne perturbent pas la marche normale des affaires et des profits. Quelques clims mal entretenues, des solutions techniques insuffisantes, des horaires décalés quand c’est possible, et tout peut continuer comme si de rien n’était. Mais ce n’est pas aux travailleurs de faire les frais du réchauffement !
Il faut réduire le temps de travail pour rendre les activités professionnelles, notamment les plus physiques, compatibles avec les conditions climatiques. Réduire le temps de travail sur la journée, bien entendu, pour tenir compte du surcroît de fatigue lié à la température et pour permettre à chacun de récupérer. Il faut aussi allonger la durée des pauses. À la RATP, par exemple, quand il fait plus de 28°C et que le bus n’est pas équipé de clim, un protocole spécial permet aux conducteurs de bénéficier de 12 minutes de battement lorsque leur course a duré plus de 45 minutes, et de 8 minutes en deçà de 45 minutes. Mais, quand il y a une clim à bord (ce qui est loin d’être toujours les cas : seuls 10 % des bus du dépôt d’Ivry en sont par exemples pourvus), il n’y a rien ! De tels protocoles devraient être grandement améliorés et généralisés pour permettre aux conducteurs de souffler entre les trajets, et aussi pour refroidir les véhicules et les rendre confortables pour les voyageurs.
Pour imposer cette réduction du temps de travail, il faut un certain niveau de combativité et d’organisation collective. Les mobilisations du mois de juin ont commencé à montrer la voie en ce sens, en réussissant à gagner par endroits, même si nulle part à notre connaissance le temps de travail n’a diminué (si ce n’est pendant la durée de la grève ou du droit de retrait). Ce serait le prochain palier à franchir. Et il signifierait beaucoup, à savoir que, face à une catastrophe climatique engendré par le mode de production capitaliste, les travailleurs peuvent remettre en cause à leur avantage une des chasses gardées des patrons : l’organisation du travail. Dès lors, il n’y a pas de raison d’en rester là, et tous les choix de gestion capitaliste, toute l’organisation de la production pourraient être passés au crible de la lutte ouvrière. Dans le transport, il s’agirait de revendiquer des embauches et plus de matériel, pour augmenter l’offre afin de réduire l’utilisation de la voiture individuelle qui est une des principales origines du réchauffement climatique. Ainsi, le combat contre la crise écologique et l’adaptation à ses conséquences déjà là ne se feraient pas au détriment des travailleurs mais en fonction de leurs intérêts de classe et à partir de leur organisation collective, s’inscrivant dans la lutte générale contre cette société capitaliste qui épuise « les deux sources d’où jaillit toute richesse : la terre et le travailleur » (K. Marx, Le Capital).
Bastien Thomas et Julie Devrim
