SYNDICOLLECTIF a publié:
Karel Yon « Le futur leader de FO devra manœuvrer avec précaution »
Syndicat. Tandis que le dépôt des candidatures à la succession de
Pascal Pavageau, le secrétaire général démissionnaire de FO, est clos
aujourd’hui, le sociologue Karel Yon, spécialiste du syndicalisme,
analyse la crise que traverse l’organisation.
Comment expliquez-vous la démission express de
Pascal Pavageau, à la suite de la parution dans la presse du fichage des
cadres de Force ouvrière ?
karel Yon Si Pascal Pavageau a été élu avec une
écrasante majorité en étant le seul candidat au poste de secrétaire
général, son élection s’est faite dans un contexte agité, à l’issue d’un
congrès très conflictuel. On pouvait donc s’attendre à des
rebondissements. C’est une réplique de ce congrès qui a laissé des
traces et qui lui-même faisait suite aux remous occasionnés par le
positionnement de Jean-Claude Mailly (le prédécesseur de Pascal Pavageau
à la tête de Force ouvrière – NDLR) à la fin de son mandat. La volonté
de Pascal Pavageau de mener un audit financier interne de la
confédération a aussi produit un effet. Sur ce point, on peut supposer
que certains n’avaient pas intérêt à ce que la transparence la plus
totale soit faite. Enfin, le souvenir de la crise de direction traversée
par la CGT en 2014 et qui lui a fait perdre quelques plumes lors des
élections dans la fonction publique a sans doute convaincu la commission
exécutive de Force ouvrière de trouver une solution rapide. C’est ce
qui a conduit à cette alliance des réformistes et des trotskistes
poussant Pascal Pavageau à la démission.
Lors du congrès d’avril, FO s’est donné une ligne
plus radicale et a montré une volonté de se rapprocher de la CGT. N’y
a-t-il pas un risque de voir cette ligne s’infléchir, alors qu’une
intersyndicale se noue avec la CGT et que des négociations importantes
sur les retraites, l’assurance-chômage ont lieu ?
Karel Yon Je ne le crois pas. Tout simplement parce
que au dernier congrès, il n’y a pas eu de revirement, mais plutôt un
redressement de la barre par rapport à Jean-Claude Mailly. Ce dernier
avait poursuivi la ligne de son prédécesseur, Marc Blondel, qui était
déjà sur une ligne plus contestataire, très critique à l’égard de la
CFDT et soucieux de créer des convergences avec la CGT. C’est uniquement
dans la dernière séquence, celle de 2017, que Jean-Claude Mailly a eu
cette inflexion vers une ligne plus conciliante avec le gouvernement,
après un constat d’échec de la mobilisation contre la loi travail. S’il
est vrai que Pascal Pavageau avait réussi à réaffirmer assez clairement
une ligne de confrontation ouverte avec le pouvoir politique, associée à
une volonté d’aller plus loin dans le renouvellement de la
confédération, celui qui lui succédera devra, pour maintenir
l’orientation de l’organisation, manœuvrer avec beaucoup plus de
précaution, afin d’être une sorte de point intermédiaire de toutes les
composantes.
L’équilibre est-il toujours possible ?
Karel Yon Force ouvrière est le produit d’une
histoire, d’une scission de la CGT en 1947-1948, emmenée par des
adhérents socialistes mais aussi anarchistes, pour échapper à l’emprise
croissante du PCF dans la CGT. Mais cette organisation a eu plusieurs
vies. Proche du Parti socialiste, ou plus exactement de la SFIO, dans
les années 1950, elle s’est ensuite rapprochée du pouvoir gaulliste dans
les années 1960-1970, en même temps que s’y réfugiaient des trotskistes
fuyant la CGT. Si bien que, d’une fédération à l’autre, les
orientations sont très différentes. Mais c’est une organisation qui a
toujours réussi à tenir avec tous ses courants. C’est même ce caractère
pluriel et composite qui fonde la raison d’être de FO aux yeux de ses
militants.
N’y a-t-il pas un risque de scission, notamment de la part des réformistes qui sont actuellement mis en minorité ?
Karel Yon La seule scission significative qui a eu
lieu à Force ouvrière était celle du secrétaire général de l’union
départementale de Paris, Jacques Mairé, suivi par quelques syndicats de
la même obédience réformiste. Suite au mouvement de 1995, ils ont quitté
FO en 1998 pour rejoindre l’Union nationale des syndicats autonomes
(Unsa). Or, cette scission avait emmené très peu de monde, peut-être
quelques milliers d’adhérents. C’est qu’on réfléchit à deux fois avant
de quitter une organisation qui est représentative dans plus de 90 % du
secteur privé et qui pèse lourd dans la fonction publique, qui a des
moyens… Force ouvrière est certes derrière la CGT et la CFDT, mais elle
est loin devant toutes les autres organisations. C’est pourquoi je pense
que cette confédération aura les épaules pour surmonter une crise comme
celle-là.
Ces crises de direction ne sont-elles pas le signe d’organisations syndicales en grande difficulté ?
Karel Yon Elles sont le symptôme d’une situation
critique plus large. Le mouvement syndical se retrouve en panne de
stratégie, car les lignes des uns et des autres touchent à leurs
limites. Ceux qui se disent réformistes sont confrontés à un
néolibéralisme de plus en plus agressif, qui n’hésite plus à se passer
des syndicats. Quant à la ligne plus contestataire et qui met l’accent
sur la mobilisation collective des salariés, elle a essuyé de nombreux
échecs. Les syndicats sont dans un cul-de-sac. La puissance des
syndicats, leur capacité à améliorer la condition des salariés a été
maximale quand leur action était à la fois économique et politique, soit
qu’ils représentaient une menace politique, soit qu’ils disposaient de
relais politiques solides dans les partis. Ces deux aspects ont
aujourd’hui disparu et les syndicats – FO est le parfait exemple de ce
point de vue – considèrent leur rapport au monde politique comme un
tabou.