mercredi 17 septembre 2025

BARZAZ

 

« En concert – War al leurenn », le nouvel album du groupe Barzaz

Il est difficile d’utiliser le mot « fusion » pour décrire la musique du groupe Barzaz tant le chant traditionnel breton y est central, intact et immédiatement identifiable, tout comme la poésie qu’il porte. L’étymologie du mot breton Barzaz va d’ailleurs dans ce sens puisqu’il se traduit en français par « Récits poétiques ».

Pourtant, autour du chanteur, chacun des instrumentistes 1 amène pêle-mêle un lot d’influences que l’auditeur attentif peut déceler, à force d’écoute des techniques instrumentales individuelles, des arrangements élaborés en commun et des choix de mixage : évocations furtives de musiques de flûtes principalement extra-européennes (flûtiste), ambiance large et profonde des productions du label ECM de Manfred Eicher (guitariste), remarquable palette de sons fretless glissant du Velvet Underground à Magma en passant par King Crimson (bassiste), sons de percussions ethniques de la planète entière (passion du percussionniste qui débuta par le bodhrán – tambour irlandais – dans son Belfast natal)… Un tout rendu diablement cohérent, qui a fait de Barzaz l’un des groupes phares de la musique bretonne des années 1980 à nos jours.

Le groupe avait vécu deux vies depuis sa fondation en 1989 (1989-1993 puis 2013-2019), sillonnant la Bretagne et voyageant bien au-delà. Le décès de son chanteur emblématique, Yann-Fañch Kemener, artiste issu de la tradition paysanne et brittophone du Kreiz-Breizh (Bretagne centrale) mit un terme à l’aventure en mars 2019.

C’est à l’occasion d’un hommage à Yann-Fañch que les quatre musiciens ont refondé le groupe en 2022 avec l’arrivée du chanteur Youenn Lange. Youenn a appris la langue bretonne et en maîtrise magnifiquement la poésie. Comme de nombreux autres chanteurs et chanteuses de kan ha diskan2 et de gwerzioù3, il contribue à sauvegarder un immense répertoire qui fut sans cesse enrichi par l’art déclamatoire et la mémoire têtue d’anciens chanteurs et poètes, souvent paysans.

Il n’est pas rare que certains de ces chants nous surprennent lorsque l’actualité leur redonne une clarté nouvelle et nous l’envoie en pleine figure.

C’est le cas du premier morceau de l’album, « An den kozh dall – Le Vieillard aveugle », une poésie quasi prophétique qui évoque l’exil, la misère et les conséquences d’un monde dont la brutalité rappelle furieusement celle d’un capitalisme aussi triomphant qu’aveugle : grands projets destructeurs dits de modernisation, remembrements, exode, dérèglements divers, marées fatales, etc., et toute une série d’angoisses et de menaces qui amènent à maudire jusqu’aux astres et aux océans…

Et que dire du chant à danser intitulé « Avanturio ar citoaien Jean Conan – Les aventures du citoyen Jean Conan », tiré d’un manuscrit de 7000 vers écrit en breton par un tisserand de Guingamp ?… Jean Conan écrivit ce manuscrit en langue bretonne pour y conter sa vie aventureuse : de ses tribulations outre-Atlantique suite à un naufrage à Terre-Neuve (passage sélectionné par Barzaz et adapté à un chant à danser endiablé) à son enrôlement en 1792 pour les guerres de la Révolution, c’est un récit haletant, parfois glaçant et même violent.

Exil, péril, guerre, amour contrarié… thèmes typiques des récits populaires pris en charge et assumés par des musiciens qui n’hésitent pas dans leurs concerts à soutenir les migrants et les Palestiniens, sans emphase mais comme dans le prolongement normal du travail de préservation d’une culture qui veut rester vivante, hors et contre les lois du tout puissant marché… vous savez, celui qui aurait une fameuse « main invisible ».

Barzaz « En concert – War al leurenn », double CD, production Compagnie Beliza et Barzaz, sorti chez l’Autre Distribution.

Barzaz en concert à la Sirène (2, rue Bécot 22500 Paimpol) le vendredi 3 octobre 2025 à partir de 20 h 15