Comment l’État fabrique des sans-papiers

Dans une vidéo vue plus d’un million de fois, le youtubeur Maskey raconte avec humour les deux ans de cauchemar administratif qui lui ont été infligés par la préfecture. Arrivé de Mauritanie en 2012, il devient sans-papiers dix ans après, lors d’une simple procédure de renouvellement de carte de séjour qui n’aboutit pas. Sans se voir opposé aucun refus, motivé ou non, incapable même d’échanger avec un interlocuteur humain (les messages de réponse sont générés par IA), il plonge dans une insécurité administrative débilitante : peur du moindre contrôle de police, fermeture de ses comptes en banque, impossibilité de sortir du territoire… Bienvenue dans un absurde digne de Kafka !
Comme le souligne Maskey, sa situation de youtubeur rémunéré, de demi-« star », lui permet pourtant d’échapper au pire du quotidien des travailleurs sans papiers. Ils sont des dizaines de milliers à subir ce silence calculé des préfectures, et le phénomène devient « systémique » d’après un récent rapport d’Amnesty international – c’est-à-dire tellement fréquent qu’il ne s’agit ni de « bugs » ni d’un résultat mécanique du manque de moyens mais d’un choix assumé. Un tel choix est encouragé par la démagogie raciste qui sature le débat politique, déversée par en haut dans les médias des milliardaires.
Encouragée par le racisme d’État, la fabrique de sans-papiers à cette échelle industrielle n’a pourtant rien à voir avec le fait de limiter l’immigration : ceux qui en sont victimes travaillent et vivent ici depuis de nombreuses années. Elle plonge en revanche de nombreux travailleurs dans une insécurité telle qu’ils deviennent plus fragiles face aux diktats patronaux. Le rapport d’Amnesty reproduit les témoignages d’aides à domicile, de cuistots ou d’agents de sécurité qui craignent de quitter un emploi mal payé et aux conditions indignes du fait de leur situation administrative.
Comme toujours, les racistes sont les idiots utiles du patronat. Certains d’entre eux prétendent s’exprimer au nom des classes populaires mais leur haine contre les immigrés est en réalité une haine de classe anti-ouvrière. Le 18 décembre prochain, une marche des solidarités s’élancera dans toutes les villes, accompagnée d’un appel à la grève qui s’adresse à tous les travailleurs concernés – et nous le sommes tous et toutes car une attaque contre ceux d’entre nous qui viennent d’ailleurs est une attaque contre nos droits à tous. Les frontières sont l’arme des patrons : des papiers pour tous et toutes, liberté de circulation et d’installation !
Raphaël Preston
