mardi 25 novembre 2025

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Les soulèvements révolutionnaires de la « Gen Z » et les responsabilités des révolutionnaires qui en découlent

Manifestation au Népal, septembre 2025

Au cours des dix-huit derniers mois, une série d’explosions de luttes massives déclenchées et portées par la jeunesse parcourt de nombreux pays aux quatre coins de la planète : Serbie, Bangladesh, Népal, Kenya, Indonésie, Pérou, Tanzanie, Madagascar, Maroc… Ces mouvements font face à une répression extrêmement violente et mortelle, causant des dizaines, des centaines de morts parfois, à des arrestations en masse, à la coupure des moyens des réseaux sociaux et de communication horizontaux vecteurs prioritaires de la mobilisation. La détermination et le courage qui les animent n’en sortent que renforcés et forcent le respect de toutes celles et ceux, qui sur la planète, n’en peuvent plus de ce système qui compte de plus en plus de milliardaires mais qui condamne à la pauvreté et à la misère l’extrême majorité de la population.

Chaque soulèvement a ses spécificités : en Serbie contre l’effondrement criminel d’une gare à cause de la corruption généralisée, au Kenya contre les hausses d’impôts et l’austérité imposée par le Fonds monétaire international (FMI), au Maroc contre l’état misérable des structures de santé et de l’éducation, alors que l’État monarchique est en train de construire des stades de football pour la prochaine coupe du monde, à Madagascar, contre la dictature et les pénuries chroniques d’eau et d’électricité…

Mais partout, ces soulèvements à caractère révolutionnaire sont l’expression d’une révolte profonde dans la jeunesse, qu’elle soit étudiante privée d’un avenir à la hauteur de ses espoirs ou ouvrière frappée par la dégradation brutale de ses conditions d’existence. Une révolte qui se tourne en premier lieu contre les régimes en place, dont la brutalité à l’égard des masses pauvres n’a d’égale que la servilité à l’égard des intérêts des multinationales et des bourgeoisies impérialistes. Les dictateurs en place n’ont parfois que quelques heures pour fuir leur palais, quand d’autres sont exfiltrés grâce à l’intervention de la puissance impérialiste tutélaire dans l’optique que « tout change pour que rien ne change ». Ces révoltes ne font pas qu’éclater les unes après les autres ou dans plusieurs pays en même temps, elles s’encouragent les unes les autres, elles ont conscience d’entretenir un lien entre elles, notamment à travers l’utilisation de symboles communs que sont le terme de « Gen Z » (décliné avec l’indicateur international correspondant à tel ou tel pays) ou l’emploi du drapeau pirate du manga One Piece, symbole rebelle de la lutte contre « l’ordre mondial », choisi à dessein car se méfiant de tous les partis politiques traditionnels jugés comme compromis mais, de fait, également sans lien affirmé avec le mouvement ouvrier au sens large.

Cette « Gen Z » est très diverse par ses conditions matérielles et ne porte pas toujours les mêmes perspectives. Dans la jeunesse mobilisée qui est surtout celle des villes, on peut souvent distinguer une jeunesse fortement paupérisée dont l’aspiration principale est l’accès à un travail décent et à des droits élémentaires et une jeunesse petite bourgeoise qui espère un meilleur avenir professionnel voire des postes dans l’appareil d’État, confisqués par le clan au pouvoir. Et c’est d’ailleurs souvent elle qui se retrouve à donner le ton au moment opportun, elle qui est invitée à représenter l’ensemble du mouvement quand les médias s’intéressent à la situation ou quand le pouvoir veut négocier, c’est elle qui fixe les objectifs et les mots d’ordre. Parce que ça arrange la bourgeoisie dans son ensemble, de trouver des interlocuteurs qui ne remettent pas fondamentalement en cause les rapports de propriété capitaliste.

Cette vague de révolte dans les pays capitalistes dominés n’est pas détachée d’un mouvement de contestation dans la jeunesse au sein même de la sphère impérialiste, où non seulement la misère aussi gagne du terrain, mais où des mouvements à caractère directement politique s’affirment en réaction à des politiques de plus en plus guerrières, racistes et réactionnaires. On le voit par exemple dans les luttes actives et déterminées de la jeunesse étudiante en solidarité avec le peuple palestinien dans des pays d’Europe comme l’Italie ou l’Espagne, ou bien dans l’ampleur des mobilisations mais aussi dans le caractère « hors des cadres » du mouvement « No King » aux États-Unis ou encore, à un moindre niveau, dans le « Bloquons tout » du 10 septembre en France. Un ensemble qui ne peut pas être décorrélé de la montée des extrêmes droites très dures ou de plus en plus assumées comme en témoignent les dernières démonstrations de force au Royaume-Uni par exemple. Des extrêmes droites qui, quand elles arrivent au pouvoir comme aux États-Unis, se montrent déterminées à pressurer toujours plus les travailleurs (entre autres par une chasse brutale contre sa fraction la plus vulnérable, d’origine immigrée) mais aussi à resserrer la pression sur leur sphère de domination impérialiste, après quelques décennies de relatif apaisement, comme le montrent les attaques de Trump sur le Venezuela.

Cette capacité, pour une génération qui ne voit pas d’avenir pour la société, à prendre son destin en main et à sauter à la gorge de l’ordre capitaliste, de l’État, de la société établie et de tenter de transformer le monde, rappelle le processus des soulèvements et des révolutions dans le monde arabe au début de la décennie 2010. Et nous indique, s’il en fallait encore la preuve, que moins jamais la révolution est une notion abstraite qui appartiendrait à un passé révolu. Un des phénomènes précurseurs et annonciateurs de la révolution russe, il y a plus d’un siècle, a été la révolte d’une jeunesse étudiante contre le tsarisme dont précisément les mouvements ont incité Lénine (explicité dès 1903 dans Que Faire ?), à fixer pour le prolétariat la tâche de diriger la révolution à venir, et à ne pas faire seulement de l’« économisme » comme le lui fixaient certains des futurs mencheviks.

En fait, il n’y a probablement jamais eu autant de révoltes et autant liées les unes les autres tant les contradictions du capitalisme s’accroissent à l’échelle globale et tant les raisons de se révolter sont nombreuses. En même temps, on le voit bien à chaque fois, et le cas tout récent de Madagascar en est encore une illustration, il n’y a rien d’automatique à ce que ces révoltes, ces véritables moments révolutionnaires, où le pouvoir bourgeois vacille, se transforment en véritables révolutions sociales et ouvrières. La bourgeoisie est extrêmement organisée et ses ressources, en termes de possibilités de contrôle des affaires, même en temps de mobilisations sociales massives et insurrectionnelles, particulièrement nombreuses : un dictateur peut s’enfuir par les airs, un général paré d’un discours « rassembleur » peut arriver en jeep, avec la promesse de futures élections. Les moindres errements dans le processus révolutionnaire sont des opportunités pour la bourgeoisie de reprendre le contrôle soit par la force brute soit par des voies détournées et de prétendues « transitions démocratiques ».

Pour transformer les révoltes en révolutions, la nécessité d’avoir des organisations implantées, capables d’organiser les travailleurs et de proposer des mots d’ordre et des perspectives communistes, à l’ensemble de la classe ouvrière et des jeunes en lutte saute de nouveau aux yeux. Des organisations non seulement capables de cerner l’ensemble des problèmes qui se posent et de proposer une stratégie pour vaincre la bourgeoisie, mais aussi affirmant qu’aucune solution pérenne pour les opprimés ne pourra voir le jour au sein des frontières nationales, qu’aucune force bourgeoise autochtone ne peut représenter une alternative à la gabegie engendrée par le pillage et l’économie impérialistes.

Oui, il y a urgence à construire une organisation révolutionnaire à l’échelle internationale capable d’organiser la colère aussi bien dans les pays les plus pauvres de la planète que dans les métropoles impérialistes pour empêcher à la réaction de s’organiser et pour permettre finalement à la révolution de s’étendre à l’échelle mondiale. Notre organisation doit continuer à contribuer, à l’échelle de ses forces, à la fois à populariser ces processus révolutionnaires car ils sont des encouragements et leçons essentielles pour l’ensemble des travailleurs et de la jeunesse, à nouer des liens politiques internationalistes avec les jeunes immigrés originaires de ces pays lorsqu’ils se mobilisent ici en écho au bouillonnement là-bas et à œuvrer au regroupement des forces révolutionnaires au niveau international. La prochaine conférence de Paris en mai prochain sera une nouvelle pierre, modeste mais essentielle, apportée à cet édifice.

Marie Darouen, 19 novembre 2025