dimanche 13 avril 2025

arenc

 

Il y a cinquante ans : l’affaire de la prison clandestine d’Arenc

L’histoire des centres de rétention administrative (CRA), ces prisons pour migrants, commence dans un lieu discret : un hangar désaffecté du port de Marseille, dans le quartier d’Arenc, en 1963. Au printemps 1975, le traitement infligé par la police à de nombreux travailleurs originaires du Maghreb et d’Afrique subsaharienne était dévoilé, malgré la volonté de l’État, et ce, à tous ses échelons.

16 avril 1975 : le scandale éclate

Entre le 11 et le 20 avril 1975, Mohamed Cherif, un pêcheur marocain, disparut sans laisser de nouvelles après s’être rendu à une convocation au service des étrangers de l’hôtel de police de Marseille. Son avocat s’inquiéta, car son client était en plein conflit juridique avec les autorités consulaires de son pays. Le 16 avril, un hangar sur les quais d’Arenc fut identifié comme étant l’endroit où Mohamed, et bien d’autres, étaient retenus, entassés dans des conditions particulièrement insalubres. À cette époque, l’emprisonnement de migrants était encore officiellement interdit par la loi, ce qui n’avait pas empêché la chambre de commerce et d’industrie de Marseille de vendre le bâtiment au ministère de l’Intérieur pour que les flics puissent exécuter leurs sales besognes.

Dans les jours qui suivirent la découverte de cette véritable prison clandestine, des journalistes de plusieurs médias parvinrent à photographier des travailleurs marocains au moment de leur transfert du hangar jusqu’au bateau à destination de leur pays d’origine, ce qui rendit l’affaire encore plus retentissante. Stupeur, les hauts responsables de la police, préfet en tête, savaient qu’ils agissaient en toute illégalité ! Mais on peut bien s’asseoir sur le sacro-saint « État de droit » lorsqu’il s’agit de faire la guerre aux travailleurs immigrés… En tout cas, la solidarité de la population s’exprima, et, le 14 juin 1975, c’est mille personnes qui manifestèrent à Marseille pour demander la fermeture de la prison.

De 1975 à aujourd’hui, des lois pour enfermer et expulser les immigrés

Dès la signature des accords d’Évian à la fin de la guerre d’Algérie en 1962, la France chercha à contourner la libre circulation des personnes prévues par ces accords. Car il fallait trier, parmi les étrangers, ceux qui étaient directement utiles pour aller se faire exploiter par le patronat en recherche de main-d’œuvre. Durant ces années où l’immigration était encouragée, les travailleurs immigrés n’étaient pas mieux traités qu’aujourd’hui !

Dans les années qui suivirent le scandale, les gouvernements cherchèrent à légaliser cette pratique d’enfermement, en premier lieu le gouvernement Chirac, éclaboussé par cette affaire. En octobre 1981, le socialiste Gaston Defferre, ministre de l’Intérieur de François Mitterrand, fit adopter une loi légalisant la rétention administrative des étrangers. Également maire de Marseille, il était au courant de l’existence d’une prison clandestine dans sa ville bien avant 1975. La gauche qui venait de parvenir au pouvoir montrait qu’elle n’était certainement pas un rempart contre le racisme.

La prison d’Arenc a été démolie en 2007. On estime qu’en 43 ans, c’est près de cent mille personnes qui ont été détenues dans ce bâtiment, dont des enfants. Depuis, les centres de rétention administrative se sont multipliés sur tout le territoire, rendant d’autant plus urgente leur fermeture, la régularisation de tous les sans-papiers et l’ouverture des frontières, au nom des intérêts de l’ensemble des travailleurs.

Martin Eraud