vendredi 8 mars 2019

ECO

PUBLIE CE JOUR PAR LA COMMISSION ECONOMIQUE DU NPA  SUR SON SITE


Le présent article est un peu ardu pour les néophytes en économie mais Sterdyniak explique bien l'évolution de la dette publique.Bonne lecture.

La Banque de France et la dette publique : Pompidou est-il coupable?

LR: Etienne Chouard a raconté des années durant, une fable concernant la fameuse loi Pompidou/Rothschild, son récent succès médiatique mérite ce rappel du niveau de sa production théorique, certains continuent à propager cette « légende urbaine »…

Pour répondre aux rumeurs sur la loi de 1973. 
 
De nombreux sites sur Internet propagent une théorie conspirationniste. Le Président Pompidou, ancien employé de la banque Rothschild, aurait inspiré la loi de 1973, qui interdit à la Banque de France de prêter à taux zéro à l’Etat et oblige celui-ci à se financer sur les marchés financiers. C’est à cause de cette loi que  l’Etat doit payer des intérêts sur sa dette et que celle-ci atteint des niveaux sans précédent.
Remarquons d’abord que le gonflement de la dette publique comme la hausse des charges d’intérêt sur la dette publique (de 1980 à 2000) sont des phénomènes qui frappent l’ensemble des pays développés, de sorte qu’on ne peut guère les expliquer par une loi française.

Il faut distinguer quatre périodes (pour la France, mais l’évolution de sa dette publique ne diffère guère de celle des autres pays développés).
De l’après-guerre à 1973, la croissance française est vive. Les dépenses publiques augmentent, mais aussi les recettes fiscales de sorte que le déficit public est faible, sinon nul. Les taux d’intérêt sont maintenus à de bas niveau. Les épargnants sont spoliés : ils reçoivent de faibles taux d’intérêt alors que l’inflation est forte. Le Trésor collecte des ressources par les Caisses d’épargne et la CDC, par l’émission directe de Bons du Trésor auprès du public ou des banques (qui sont obligées d’en détenir). Les banques sont aussi obligées de consacrer une partie de leurs ressources aux investissements désignés par le FDES (le Fonds de Développement Economique et Social). Grâce à ces financements (que l’on nomme le circuit du Trésor), celui-ci a un faible besoin de ressources supplémentaires. Il peut s’endetter auprès de la Banque de France soit à taux 0 (pour un montant limité et négocié entre le Trésor et la Banque de France), soit au même taux que les banques (ce qu’on nomme le taux de réescompte ou le taux du marché monétaire). Les banques peuvent acheter des Bons du Trésor et se refinancer immédiatement à la Banque de France, de sorte que le taux des bons du Trésor acheté par les banques est pratiquement égal au taux du marché monétaire. En fait, la Banque de France appartient à l’Etat et lui reverse une partie de ses profits  sous forme de dividendes, de sorte que le montant des avances à taux 0 que fait la Banque de France au Trésor a peu d’importance, sauf pour des questions d’indépendance financière de la Banque de France par rapport à l’Etat.

A partir de la réforme bancaire de 1966 de Michel Debré, les gouvernements successifs décident de moderniser la Place de Paris, c’est-à-dire de libéraliser le système bancaire et de supprimer progressivement le circuit du Trésor. A partir de 1973, le choc pétrolier et le ralentissement de la croissance font que le déficit public se creuse. Il devient beaucoup plus important que les ressources gratuites dont dispose la Banque de France (qui, en période normale, se limite pratiquement aux billets de Banque).  Il est décidé (c’est la loi de janvier 1973) de plafonner à un niveau fixe le montant des ressources à taux 0 que la Banque de France fournit au Trésor. Pour le reste, le Trésor se finance en émettant des Bons du trésor ou des titres sur les marchés financiers. Jusqu’à la mise en place de l’euro cependant, la Banque de France garantit le placement de ces titres qui sont des actifs sans risque, donc qui bénéficie des taux les plus bas possibles. Les banques peuvent refinancer immédiatement et sans limite les titres  publics de court terme auprès de la Banque de France de sorte que l’État  a la certitude de pouvoir se refinancer sans limite au taux du marché monétaire.  De 1973 à 1980, les taux d’intérêt sont maintenus de bas niveau par rapport au taux d’inflation et au taux de croissance, de sorte que la dette publique n’augmente guère.

Après la contre-révolution libérale du début des années 1980, les gouvernements (d’abord aux Etats-Unis, en Grande-Bretagne, puis en Europe) augmente fortement les taux d’intérêt, ce qui a contribué à un fort ralentissement de l’inflation et de la croissance.  Les taux d’intérêt deviennent nettement plus élevés que le total « taux de croissance + taux d’inflation », de sorte que la dette publique fait « boule de neige ». Elle s’alimente d’elle-même par le seul effet de l’accumulation des intérêts.
Ceci aurait-il pu être évité si l’Etat s’était endetté à taux 0 auprès de la Banque de France ? Non, car la dette publique représentait en 1995, par exemple, 50% du PIB tandis que les ressources gratuites de la Banque de France (les billets de Banque) ne représentait  que 7% du PIB.  En 1995, les taux d’intérêt était de l’ordre de 6,5%, la charge d’intérêt de l’Etat était donc d’environ 3,5% du PIB. Certes, si la Banque de France avait prêté 7% du PIB à 0 % à l’Etat, la charge d’intérêt de l’Etat auraient été plus bas de 0,5% du PIB, mais les profits de la Banque de France auraient aussi été plus bas et donc les dividendes versés à l’Etat  auraient été plus bas de 0,5 % du PIB.

Pour que l’Etat puisse s’endetter à taux 0, il aurait fallu que les personnes qui détiennent de la dette publique (par exemple, les ménages qui ont des placements en assurance-vie, les fonds de pensions anglo-saxons) acceptent de détenir des titres qui ne rapportent qu’un taux zéro. Mais qui voudraient aujourd’hui détenir plus de billets sous son matelas?
En 1999, lors de la création de l’Euro, il a été stipulé que la BCE ne garantissait pas les dettes publiques des Etats-membres. Aussi, celles-ci ne sont plus des actifs sans risques. Les Etats peuvent ne plus pouvoir rembourser leurs dettes (alors qu’avant 1999 la question ne se posait pas puisqu’un Etat pouvait toujours se financer auprès de sa Banque Centrale). Les marchés ne s’en sont aperçu qu’en 2010 quand  la Grèce s’est révélée incapable d’honorer les échéances de sa dette. Aussi, maintenant,  les Etats de la zone Euro supportent une prime de risque, plus ou moins importante, quand ils émettent des titres. Les marchés évaluent le risque qu’ils  fassent défaut sur leur dette (comme la Grèce l’a fait).
Heureusement, depuis 2002 et plus encore depuis 2008, les taux d’intérêt des pays occidentaux sont devenus très faibles. L’excès d’épargne a provoqué le gonflement des marchés financiers, d’où  la crise de 2007-2008.  Les Banques centrales sont obligées de maintenir des taux d’intérêt très faibles pour soutenir l’activité. Ainsi, en février 2017, la France s’endette à -0,6% à 1 an, à 1% à 10 ans. Les banques qui refusent de faire du crédit aux entreprises, qui refusent aussi de se prêter mutuellement, placent leurs réserves auprès de Banques centrales qui les prêtent aux Etats à des taux très faibles.  La période ouverte par la hausse des taux des années 80 est bien finie.

A plus long terme, il est illusoire (contrairement à ce que proclament certains programmes politiques) de penser que la BCE pourrait massivement financer de vastes programmes d’investissements publics (encore moins de vastes programmes de  dépenses publiques) ou même d’investissements tournés vers la transition écologique puisque, en temps normal, ses ressources gratuites sont limitées, puisqu’elle n’a pas la compétence pour juger de la validité des investissements nécessaires, puisqu’il faut socialiser les décisions.  Il est plus réaliste et (plus porteur) de viser à reconstituer un Secteur Financier Public qui d’un côté financerait les investissements publics et les investissements de transition écologique, socialement décidés et planifiés), de l’autre proposerait aux ménages soit des placements sans risques à des taux  légèrement supérieur à l’inflation, soit des placements qui prendraient en charge des risques industriels (des obligations économies renouvelables ou rénovation de l’habitat). Par ailleurs, la BCE devrait garantir les dettes publiques des pays de la zone euro, afin que ceux-ci puissent se financer à des taux faibles, n’incluant pas de risque de défaut.