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Le mouvement syndical et les mouvements interclassistes : quelle stratégie ?
Le mouvement syndical est le produit historique du
mouvement d’auto-organisation des travailleuses et des travailleurs.
C’est à partir de leurs intérêts matériels que les travailleuses et
travailleurs se sont organisés en tant que classe.
Certains syndicats de métier, à l’origine,
regroupaient indistinctement petits patrons et salariés. Mais
l’observation, dans la pratique, d’une divergence d’intérêts économiques
a amené le mouvement syndical à exclure de ses organisations le petit
patronat.
En effet, le petit patronat, pour augmenter sa marge
de profit, c’est-à-dire l’appropriation de la plus-value créée par le
travail collectif, doit maintenir les salaires au niveau le plus bas
possible et augmenter le temps et l’intensité du travail, mais aussi la
concurrence entre salariés par la précarité, dans le contexte de la
concurrence capitaliste. Les travailleurs et travailleuses, quant à eux
et elles, ont un intérêt matériel à l’augmentation des salaires, la
baisse du temps de travail, le recul de la précarité.
Ce mouvement s’est accompagné par ailleurs d’une
prolétarisation d’une large part des petits artisans, privés de leur
contrôle des outils de production par le processus d’industrialisation.
De la classe en soi et classe pour soi
C’est la reconnaissance de cette divergence
d’intérêts entre salariés et patrons (même petits) qui a amené le
prolétariat à prendre conscience de lui-même, de ses intérêts de classe,
se constituant par l’auto-organisation de « classe en soi »
(c’est-à-dire existant dans la société) en « classe pour soi »
(c’est-à-dire défendant ses propres intérêts). C’est de ce constat
initial que le mouvement syndical a pu créer des organisations
permettant de développer la solidarité et de défendre ses intérêts
généraux en tant que classe : organisations interprofessionnelles
(d’abord les bourses du travail puis les UL, fédérations et
confédération).
Au cours de son histoire, le mouvement syndical a été
amené à s’allier avec des secteurs de la petite bourgeoisie, voire de
la bourgeoisie elle-même : pour défendre les libertés publiques et les
conquêtes démocratiques face à la réaction monarchiste et antisémite
(lors de l’affaire Dreyfus), pour lutter contre le colonialisme, pour
lutter contre le fascisme. Mais, à chaque fois que ces alliances se sont
nouées, le mouvement syndical a gagné à refuser de se dissoudre dans un
cadre commun et a conservé non seulement son expression mais aussi sa
stratégie autonome. C’est ainsi qu’il a été à l’origine de grèves de
masse et d’occupations en 1934, 1935 et 1936, qui ont permis d’arracher
aux patronat et au gouvernement les congés payés, tout en brisant la
dynamique du fascisme en France.
À l’inverse, chaque fois qu’il a mis l’arme au pied
et refusé de développer sa propre stratégie de lutte en se contentant de
soutenir de forces politiques interclassistes, espérant trouver dans
cette démarche la base de conquêtes sociales, cela s’est traduit par une
série de défaites.
Quelle base pour intervenir : se dissoudre ou s’affirmer ?
La question qui se pose, dans un mouvement
interclassiste, est donc avant tout la suivante : lorsque le mouvement
syndical fait le choix d’intervenir, sur quelle base le fait-il ? Un
suivisme opportuniste qui l’amène à se caler sur les intérêts de la
petite bourgeoisie, du petit patronat et des réactionnaires, en effaçant
sa dynamique et son autonomie stratégique ? Ou la volonté, au
contraire, d’acquérir l’hégémonie politique, en imposant ses
revendications et, donc, la prise en compte de ses intérêts matériels ?
La présence d’une partie du prolétariat dans des
mouvements interclassistes n’est donc pas, en soit, une garantie de la
défense de ses intérêts matériels. L’histoire regorge de moments
historiques où le prolétariat a été utilisé comme « chair à canon » dans
la défense d’intérêts qui ne sont pas les siens.
La « droite prolétarienne », sous un discours
« social et national », a régulièrement su mobiliser des fractions de la
classe ouvrière dans des mouvements qui, s’ils avaient certaines
dimensions sociales, avaient avant tout pour objectif une dynamique
politique bien éloignée des intérêts ouvriers.
Qu’il s’agisse de l’agitation boulangiste ou
antisémite, les réactionnaires et autres « socialistes-nationaux » n’ont
jamais hésité à recouvrir d’un verni social leur projet de liquidation
des libertés publiques – et syndicales –, l’instauration d’un État
autoritaire et raciste, qui peut à l’occasion s’en prendre
« verbalement » à la bourgeoisie et sa culture, tout en préservant ses
intérêts matériels (propriété privée des moyens de production,
organisation capitaliste des rapports de production).
Le mouvement syndical, en se constituant en force
prolétarienne autonome, a bien sûr tout intérêt à essayer d’arracher ces
fractions du prolétariat à l’influence de l’idéologie réactionnaire.
Mais il ne peut certainement pas le faire en renonçant à affirmer sa
propre autonomie, sa propre force et ses valeurs historiques issues
d’une expérience des luttes qui ont eu pour conséquences, rappelons-le,
des conquêtes extrêmement précieuses pour l’ensemble des salariés :
baisse du temps de travail (initialement de 15 à 16 heures par jour),
augmentation des salaires (conventions collectives), sécurité sociale,
congés payés…
Reconstruire notre propre force
Le mouvement syndical a accumulé les défaites sur le
plan des intérêts généraux du prolétariat ces trente dernières années,
les victoires obtenues n’étant que partielles, dans un contexte de recul
général. Cela doit évidemment pousser au bilan et à chercher à nous
reconstituer comme force à laquelle la bourgeoisie ne pourra résister.
Mais cela ne se fera pas en cherchant ailleurs qu’en nous-mêmes les
conditions de notre renouveau : ni dans l’éternelle course au renouveau
d’une « gauche politique » moribonde, sous quelque force que ce soit, ni
dans un opportunisme nous conduisant à nous aligner, sans principe et
sans volonté de faire entendre notre propre voix et nos propres
intérêts, sur ce qui bouge.
Il nous faut reconstruire au sein de notre
confédération des organisations solides, fondées sur le collectif et non
la délégation de pouvoir, la solidarité inter-boîtes et
interprofessionnelle, et non le repli corporatistes ou sur le cadre
étroit de l’entreprise. Il nous faut développer une réelle stratégie
syndicale qui ne soit fondée ni sur des postures qui ne tiennent pas
compte de l’état de nos organisations ni, à l’inverse, sur une inertie
défaitiste ou des rituels démobilisateurs qui nous conduisent à l’échec
(ces deux pratiques, en apparence opposées, sont les deux faces de la
même pièce défaitiste). Cette stratégie doit se baser sur ce principe
matériel : s’en prendre aux intérêts des patrons et des actionnaires,
pour défendre nos propres intérêts de travailleuses et de travailleurs,
parce que les premiers et les seconds sont inconciliables. C’est la
reconnaissance de ce que la charte d’Amiens décrivait déjà comme « la
lutte de classe qui oppose, sur le terrain économique, les travailleurs
en révolte contre toutes les formes d’exploitation et d’oppression, tant
matérielles que morales, mises en œuvre par la classe capitaliste
contre la classe ouvrière ».
Cette stratégie, si elle veut être autre chose qu’une
posture idéaliste, doit se poser la question des structures et des
pratiques organisationnelles concrètes qui permettent de traduire des
volontés, des orientations dans les faits.