Publié par EDITIONS LEGISLATIVES
"Nous réclamons 10 jours de congé et un droit à la mobilité pour les femmes victimes de violence conjugale"
04/09/2019

Sophie Binet, chargée de l'égalité femmes hommes à la CGT
Au
lendemain du "Grenelle des violences conjugales" organisé par le
gouvernement, la CGT estime que la question des féminicides "est trop
grave pour se régler par des campagnes de communication". Pour garantir
"l'indépendance économique des femmes et leur permettre d'échapper aux
phénomènes d'emprise", il est indispensable, juge le syndicat, de
"sécuriser leur travail".
Interview de Sophie Binet, dirigeante
confédérale de la CGT en charge de l'égalité F/H.
A
la CGT, vous déplorez n'avoir pas été convié par le gouvernement au
Grenelle des violences conjugales. En quoi cette question
intéresse-t-elle le monde syndical et le monde de l'entreprise ?
"Il ne s'agit pas d'une simple question sociétale. Plus de 200 000
femmes sont victimes de violences conjugales en France chaque année et
ces femmes sont aussi des travailleuses ! Le travail est forcément
impacté. Ces femmes sont souvent licenciées ou sont amenées à
démissionner afin de s'éloigner de leur conjoint violent pour se mettre à
l'abri, car leur lieu de travail est connu du conjoint et devient pour
elle un lieu dangereux. Le travail devrait au contraire être une planche
de salut, un lieu de lien social, être le moyen de la liberté
économique des femmes. Nous nous sommes d'ailleurs battus à Genève, en
juin dernier lors de la conférence internationale du travail de l'OIT
(Organisation internationale du travail), pour que les violences
conjugales soient intégrées dans la nouvelle convention votée
qui traite des violences et du harcèlement au travail. Il faut
maintenant que la France adopte et transpose cette convention, mais nous
n'avons aucune nouvelle de la concertation tripartite qui doit
travailler à cette transposition. La France doit s'inspirer des
meilleures pratiques internationales, comme celles de l'Espagne ou de la
Nouvelle Zélande, pour donner de nouveaux droits aux femmes.
Quelles mesures précises demandez-vous au gouvernement de prendre ?
Pour les femmes victimes de violences conjugales, nous revendiquons
un droit de 10 jours de congés payés, car une femme victime doit avoir
du temps pour se protéger, et nous demandons aussi des aménagements de
travail tels qu'un droit à la mobilité géographique, fonctionnelle, ou
des changements d'horaires, comme cela existe en Espagne. Nous avons eu
des cas de femmes victimes de violence et qui voulaient déménager en
demandant une mutation à leur employeur, mutation que ce dernier
refusait. Nous réclamons aussi l'interdiction du licenciement des femmes
victimes de violence. Enfin, les violences sexuelles et sexistes
devraient faire l'objet d'une négociation obligatoire dans chaque
entreprise.
Pensez-vous que les employeurs et leurs représentants puissent accéder à ces demandes ?
Les employeurs y sont opposés, oui, et notamment le Medef français.
On nous répond qu'il faut rester sur le terrain du volontariat pour ne
pas accroître les contraintes des entreprises, et que le chef
d'entreprise n'est pas responsable de toute la misère du monde...
Peut-on écarter ces arguments ?
Mais il s'agit de sauver des vies ! Je rappelle qu'un employeur a
aussi une responsabilité vis à vis de ses salariés, hommes et femmes :
il doit assurer leur sécurité, alors que dans ces affaires, le lieu de
travail peut être aussi un lieu dangereux pour la victime, un lieu de
règlement de comptes.
Votre appréciation sur le Grenelle ?
D'après les premiers retours des associations (Ndlr : voir les
mesures ci-dessous), je crains qu'il ne s'agisse que de mesures très
gestionnaires, managériales, sans changement réel de politique publique
ni moyens conséquents. C'est une forme de mise en scène de l'impuissance
politique. Un exemple : on nous promet 1 000 places en 2020 alors que
les 200 places promises en juillet dernier n'ont déjà pas été créées !
Autre exemple : si l'on veut sensibiliser le monde du travail aux
violences sexistes et sexuelles, le gouvernement n'a qu'à reprendre
notre proposition : tous les syndicats suggèrent une heure de
sensibilisation par an obligatoire dans tous les collectifs de travail !
Donc, pour obtenir des mesures fortes, nous appelons les salariés à se
mobiliser pour la journée mondiale contre les violences sexistes et
sexuelles du 25 novembre prochain".