lundi 6 août 2018

vallée des saints

 LA VALLEE DES SAINTS... 

Carnoët (libération)

extrait du blog NPA29

grandes-croniques-de-bre

Les sept saints d’est en ouest: Samson-Dol (nom biblique), Saint Malo (ou Maclou), Brieuc-Saint Brieuc,  Paternus-Vannes (gallo-romain), Corentin-Quimper (gallo romain), Tudual-Tréguier et Paul-Saint Pol. Il manque Rennes et Nantes.

Bretagne : ces saints que l’on ne saurait voir

Dans les Côtes-d’Armor, le village de Carnoët accueille des statues géantes représentant les saints bretons qui devrait en compter un millier à terme. Si la région soutient le projet, le critique d’art Jean-Marc Huitorel, y voit une subtile escroquerie qui confond art et idéologie, tourisme et culture.

Au printemps 2018, en Bretagne, on annonce le débarquement à Paimpol de la statue de Saint Piran, patron de la Cornouaille britannique. Pour cette raison sculptée outre manche, et après quelques haltes dignes des saintes reliques, elle achèvera son périple parmi ses semblables sur le site dit de la Vallée des saints, à Carnoët, petite commune des Côtes-d’Armor, en lisière du Finistère.
Ce sera la centième sculpture réalisée à ce jour. Conçu il y a une dizaine d’années par Philippe Abjean, ancien prof de philosophie, le projet consiste à réunir sur la colline Saint-Gildas (drôle de vallée…), à une échéance non précisée (l’éternité étant le plus fréquemment évoquée…), le millier de saints que compterait le panthéon breton, diversement reconnu par l’église de Rome. Philippe Abjean est un fervent catholique, proche des missions africaines, à qui l’on doit la restauration du Tro Breiz (comme à Pierre de Coubertin celle des Jeux olympiques), antique pèlerinage qui reliait les sept évêchés de Bretagne.
Des chiffres récents placent la Vallée des saints sur le podium des destina-tions touristiques les plus fréquentées des Côtes-d’Armor.
Objectif visé : 500 000 voire un million de visiteurs par an. L’esprit d’entreprise de Philippe Abjean ne s’arrête pas là puisqu’il projette d’installer une Cité de la paix, reconstitution d’habi-tats traditionnels des cinq continents, en lien avec les milieux missionnaires, dans le nord du Morbihan. La presse régionale, comme hypnotisée, se pâme d’admiration devant la Vallée des saints que l’on n’hésite pas à qualifier d’«île de Pâques bretonne». Le monde économique, comme la classe politique, n’est pas en reste.
Bref, une impressionnante unanimité réflexe face à quoi les rares voix discor-dantes semblent de peu de poids.
Nul doute que ce projet, si sa montée en puissance se confirme, va bouleverser, mais dans quel sens ? le paysage physique, social et économique d’un Centre Bretagne en déclin et qui, de ce fait, accueille avec reconnaissance toute idée susceptible d’y créer activité et donc emploi. Quoi de plus légitime ?
Sur la page d’accueil du site internet de l’association on lit: «Un projet fou pour l’éternité», dont l’objet est «la sauvegarde, la découverte et la promotion de la culture populaire bretonne liée aux saints bretons sous la forme de création artistique». L’accès au lieu est libre et gratuit, sa rentabilité s’évaluera à l’aune des activités et des produits dérivés. S’agissant de la production (aménagements de l’accueil et des abords, financement des statues, etc.), un maître mot : mécénat. Une fondation est également créée et les pouvoirs publics, le Conseil régional par exemple, soutiennent financièrement l’entreprise.
Chaque sculpture s’estime à environ 15 000 €.
Mais si on utilise les dispositions de la loi mécénat, c’est deux fois moins cher, ce qui fait que, par ricochet, ce sont tous les contribuables qui payent. On peut participer aux commandes, modestement ou très largement, selon sa volonté et ses moyens. Plus de deux mille personnes privées se sont engagées et le fleuron de l’industrie, du commerce et de la banque en Breta-gne ainsi que le lobby du granit, soutiennent matériellement une idée aux prémisses et aux implications qu’il convient de décrire. On sait le commentaire par lequel Althusser approfondit l’articulation que Marx posa entre «base économique» et «superstructure idéologique».
La Vallée des saints illustre parfaitement le stade suivant, marqué par l’intime imbrication de l’idéologie et de l’économie sous la bannière, si l’on peut dire, d’un néolibéralisme à la sauce bretonne qui cache habilement sa véritable nature (c’est bien la caractéristique de l’idéologie même, et du néolibéralisme en l’occurrence, que de se dissimuler sous les habits du pragma-tisme, de l’expertise et de l’évidence).
Le substrat conceptuel et stratégique de la Vallée des saints émane peu ou prou d’un think tank connu sous le nom d’«Institut de Locarn», une localité voisine de Carnoët, et dont l’idée fondatrice est que le développement économique revêt intrinsèquement la forme de la guerre, et que dans cet agôn, il est bon et efficace de s’armer de symboles culturels. Fi donc des distinctions byzantines entre hardware et software. Appliquée à la Bretagne, riche de traditions fort prisées (sa musique, ses danses et ses costumes, ses produits locaux), cette stratégie de fusion de l’économique et du culturel pourrait bien être payante et faire d’une région périphéri-que l’un des nouveaux «tigres celtiques», comme on parlait il n’y a pas si longtemps des «tigres asiatiques», et dont l’Irlande est le symbole.
Il n’est point besoin par ailleurs d’une grande perspicacité pour se convaincre de la teneur éminemment catholique et plus largement chrétienne d’une entreprise qui s’inscrit dans ce vaste mouvement d’affirmation des racines chrétiennes de l’Europe dont on sait et les porteurs et les objectifs : culte des héros, des morts et… des saints, reconstruction d’un passé mythifié, renouveau spirituel, revendication identitaire face aux dangers du multiculturalisme amplifiés par les récents phénomènes migratoires. Vieille antienne. Articulé à l’antique irrédentisme breton, tout cela se plaît à flatter le sentiment d’appartenance, sinon le nationalisme.
Et quid de la proposition «artistique» ?
Une centaine de statues, mesurant entre trois et six mètres de hauteur, est pour l’heure érigée sur la colline, autour d’un tumulus certes fouillé par les services archéologiques, mais fort menacé par l’invasion massive de ces mastodontes et dont le voisinage pourrait receler de nouvelles et intéressantes données. Ces mêmes services archéologiques tirent la sonnette d’alarme quant à la préservation de la zone et se réservent la possibilité d’investigations futures. Mais à la Vallée des saints, on préfère la plasticité des mythes et des légendes à la rigueur de l’histoire, les approximations de l’imaginaire aux recherches scientifiques, hélas moins complaisantes.
Les statues, on l’a dit, sont en granit, en granit breton, ce point est fondamental.
Confiées à une quinzaine de tailleurs de pierre répondant à un strict cahier des charges, elles arborent des styles divers mais que réunit une inclination prononcée pour le «pseudo» (plutôt que pour la copie) : pseudo-médiévales, pseudo-exotiques, pseudo-modernes. Pseudo-médié-vales en priorité. Comme au temps des cathédrales et de l’art chrétien, comme avant, parce qu’avant, c’était mieux. Évidemment aucun lien avec une quelconque histoire de l’art récent, avec la moindre contemporanéité. L’art moderne, ici, n’a jamais existé ou bien par flash de kitsch surgis de l’inconscient des burins ; alors vous pensez bien, l’art contemporain… Non, juste un espoir de photogénie publicitaire (l’île de Pâques, toujours).
Et les voilà fichées en terre (pas si solidement si l’on raisonne en termes de sécurité, comme il commence à se dire ici et là), disposées à la va-comme-je-te-pousse, faisant manifestement davantage confiance à un futur effet de masse qu’à la qualité du rapport d’échelle, qu’à l’archi-tecture paysagère, qu’à l’agencement au sol. Sur ce chapitre, force nous est de constater qu’avant c’était mieux, vraiment mieux… Et quand on apprend que parmi les nombreux projets à sortir des cartons se trouve celui d’une école de sculpture monumentale («la première en Europe»), on en frémit.
Mais ce n’est pas de l’art qu’on vient chercher ici, comme le montre clairement la teneur des visites guidées, ce sont des histoires à entendre, des légendes comme les enfants les aiment. Et par-dessus tout du spectacle, de l’effet spécial, un décor où le granit, paradoxalement, devient carton-pâte. On assiste alors à l’élaboration d’un kitsch qu’on pourrait appeler de seconde génération. Le premier kitsch, celui que décrit Clement Greenberg, avait été produit par la société industrielle et consistait en objets de série massivement répandus et consom-més, souvenirs de vacances, produits dérivés… On le trouvait vulgaire et on s’en délectait. On est comme ça. Il fait toujours florès.
Le second, en revanche, avance masqué et son cheval de Troie se nomme «authenticité», «artisanat», «fait main».
Il puise ses formes et ses modèles dans la banque occulte d’un passé merveilleux : si c’est en granit, c’est forcément authentique. C’est de ce kitsch-là que relèvent les statues de la Vallée des saints. Umberto Eco, dès 1985, dans la Guerre du faux, avait remarquablement analysé cette propension contemporaine, américaine le plus souvent à son époque, chinoise plus récemment, mondiale désormais, à se fabriquer une histoire par l’élaboration d’objets symboliques reconstitués.
Ici, en Bretagne, on atteint des sommets d’illusionnisme ripoliné 
On parvient à produire des faux sur place avec les matériaux locaux ! Jeff Koons apprécierait ! Et si ce ne sont pas des copies, on dirait bien pourtant qu’il s’agit là de répliques en granit dont les originaux seraient en cire ou en plastique. Il en faut pour tous les goûts, nous répète-t-on à l’envi. Certes, n’était ce sentiment diffus d’une subtile escroquerie qui consiste, sous couvert d’un soi-disant art soi-disant populaire, à nous faire prendre les vessies pour des lanternes, l’idéologie pour l’art, l’économie touristique pour la culture, le tout avec la bénédiction admira-tive des diverses représentations économiques et politiques régionales dont on peut légitime-ment se demander ce qu’elles soutiennent et défendent vraiment dans ce type d’initiative.
Jean-Marc Huitorel, critique d’art  4 août 2018
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Commentaire NPA 29:   Ces saints non reconnus étaient soit des militaires romains, des chefs civils, des guerriers bretons, des religieux fondateurs de paroisses et des ambassadeurs auprès des rois francs, d’origine insulaire ou locale. Hommes (et femmes) politiques, ils méritent d’être mieux connus, mais pas comme des charlatants « faiseurs de miracles »!

LE TELEGRAMME

Carnoët. La Vallée des Saints vilipendée dans une tribune au vitriol

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. (Le Télégramme / Claude Prigent)

C’est une voix discordante, aiguisée, discutable, qui éreinte la Vallée des Saints, à Carnoët (22). Dans le journal Libération, le critique d’art Jean-Marc Huitorel livre une tribune vigoureuse qui a fait réagir, comme toujours, sur les réseaux sociaux.

En Bretagne, la Vallée des Saints, à Carnoët (22), suscite une quasi-unanimité. Tant sur des sites d’avis en ligne  comme Tripadvisor , où les visiteurs multiplient les superlatifs : « magique », « impressionnant », « mystique » auxquels se mêlent quelques « bofs », que dans les médias locaux - Le Télégramme compris - et nationaux où elle est décrite comme le  « paradis des sculpteurs » ou une  « île de Pâques bretonne » . À lire sur le sujet  Vallée des Saints. Offrez-vous une visite interactive ! Les réfractaires aux consensus estimeront salutaire la lecture d’une tribune du critique d’art réputé Jean-Marc Huitorel,  parue sur le site de Libé , ce samedi. Un sommet d’esprit critique où une kyrielle de lignes ont la ...


Comité NPA:
Nous nous joignons aux voix discordantes sur le sujet: ce serait risible si ce lieu n'éatit en train de devenir une caricature de la Bretagne et de notre culture.
A quand une vallée de révolutionnaires: Nathalie Le Mell, Charles Tillon, Marcel Cachin, Joséphine Pencallet....