Les INROCKUPTIBLES
Comment Ernesto Guevara est devenu le "Che"
A cinquante ans de sa mort un documentaire raconte comment
Ernesto Guevara de la Serna est devenu le "Che", icône révolutionnaire
mondiale qui inspire encore les contestataires de l’ordre établi.
Son visage d’un calme impérieux, encadré par une barbe
éparse et un béret à étoile rouge, semble regarder l’histoire. Il plane
encore sur les forums sociaux, les manifestations et autres émeutes
partout dans le monde, comme une menace pour les tenants de l’ordre
néolibéral et comme un exemple inspirateur pour ceux qui veulent le
renverser. Parfois aussi comme simple hochet du système capitaliste, qui
n’a pas traîné à en faire une marchandise.Le portrait du "Che" réalisé par Alberto Korda en 1960 est pourtant un symbole universel de la révolution. Pour la politologue Janette Habel, interrogée dans le documentaire Che Guevara, naissance d’un mythe, diffusé sur France 5 à l’occasion des 50 ans de sa mort (le 8 octobre 1967), c’est même l’incarnation du "romantisme révolutionnaire". Mais qui connaît l’histoire derrière la légende ? Le "Che" ne peut être complètement expliqué que si l’histoire complète celle-ci. C’est ce à quoi s’est attelé Tancrède Ramonet, déjà réalisateur d’une fresque historique remarquée sur l’anarchisme diffusée sur Arte (Ni Dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme).
Un intellectuel critique des médias avant d'être un "guérillero héroïque"
Le documentaire – qui fait intervenir de nombreux spécialistes – commence en 1956, quand le jeune médecin argentin débarque avec Fidel Castro à Cuba pour fomenter l’insurrection contre la dictature de Fulgencio Batista. Et le suit pendant ses derniers pas, quand Ernesto Guevara de la Serna se métamorphose en "Che" - surnom dû à son accent argentin - en construisant sa propre légende. Grâce aux images d’archive (la révolution cubaine est la première à avoir été intégralement filmée), on découvre une autre facette du "guérillero héroïque" : celle d’un stratège et d’un intellectuel qui ne s’en laisse pas compter par les théories préconçues.
Dans sa première interview, ses premiers mots sont une critique en règle des médias internationaux, accusés de ne montrer que des aspects "anecdotiques" de la guérilla. Dans les montagnes de la Sierra Maestra, il créé ainsi Radio Rebelde, le moyen de communication des insurgés, par lequel Fidel Castro appelle à la grève générale et proclame le triomphe de la révolution le 1er janvier 1959. Le Che avait compris, bien avant que l’axiome soit formulé à l’université, que "le message, c’est le médium". Cet enseignement sera utile dans la deuxième phase de la révolution, c’est-à-dire la guerre de la communication que Cuba livre contre les Etats-Unis.
Le défenseur d'un socialisme hétérodoxe
Ernesto Guevara n’a alors pas la notoriété qu’on lui imagine. Dans les rues en effervescence de La Havane, le 1er mai 1960, et même dans la presse révolutionnaire, nul portrait de lui. On lui préfère d’autres barbudos, comme Camilo Cienfuegos ou Fidel Castro, voire même Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir, qui se rendent rapidement à Cuba. Pourtant le "Che" est déjà dans les arcanes du pouvoir.
Comme procureur suprême de la Cabana, il est chargé de la mise en place des tribunaux révolutionnaires, et fait fusiller les tortionnaires du régime de Batista et autres "contre-révolutionnaires". Sa justice était-elle expéditive et digne des procès staliniens ? Le documentaire soulève la question et nuance.
Le "Che" continue de construire le mythe qui lui a survécu en tant que Ministre de l’Industrie, en 1961, en se distinguant des tenants de l’économie soviétique, puis en se faisant le porte-parole des pays du tiers-monde et de l’anti-impérialisme comme chef de la délégation cubaine à l'ONU, où il prononce un discours mémorable en 1964. Son aura est à son comble lorsqu’il s’adresse aux Algériens (en français) lors du premier anniversaire de l'indépendance de l'Algérie en 1963 :
C’est alors que quelques années plus tard, poussé par une sorte de frénésie d’étendre la révolution à travers le monde, il quitte subitement Cuba pour repartir au combat, au Congo puis en Bolivie, où il est finalement abattu. Les conditions de sa mort et le fait que son corps ait été exhibé et filmé en ont fait un martyr. Avec sept ans de retard, la photo d’Alberto Korda a pris un autre sens qui continue de faire frémir les militants internationalistes et révolutionnaires.