En Grèce, la population réclame justice : Tempi, le véritable coût du capitalisme
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Deux ans après l’accident ferroviaire de Tempi, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue pour manifester, demandant justice et des réponses quant aux responsabilités de l’État grec et de l’entreprise Hellenic Train.
Manifestations dans tout le pays
Le 28 février 2023, la collision entre un train de marchandises et un train voyageurs sur la ligne ferroviaire reliant Athènes à Thessalonique causait la mort de 57 personnes, et faisait au moins 85 blessés, la plus grande catastrophe ferroviaire que la Grèce ait connue. Déjà, des manifestations et rassemblements avaient essaimé dans tout le pays. Presque deux ans après la catastrophe, un enregistrement audio diffusé par les médias apporte de nouvelles informations, que le gouvernement s’est empressé de dissimuler : les victimes n’ont pas toutes péri pendant la collision mais bien des minutes plus tard, dans un incendie, provoqué par la cargaison illégale de produits chimiques que transportait le train de fret.
En réponse, dimanche 26 janvier, des manifestations ont eu lieu dans plusieurs villes et villages de Grèce, rassemblant des centaines de milliers de personnes (plus de 120 000 manifestants à Athènes et plusieurs dizaines de milliers à Thessalonique), ce qui n’était pas arrivé depuis plus d’une décennie. Des rassemblements furent aussi organisés en solidarité dans d’autres villes d’Europe.
La population se mobilise et demande justice. Les victimes de Tempi sont devenues en Grèce le symbole pour toutes les victimes des politiques anti-sociales que les gouvernements, successivement de gauche (Pasok), de droite (Nouvelle Démocratie) et de gauche « radicale » (Syriza), ont mis en place contre ceux qui se mobilisent : une politique de censure et de répression, pour toujours plus de profits.
Le produit des offensives patronales à répétition
À l’instar des aéroports et du port du Pirée qui ont été rachetés par des entreprises allemandes et chinoises, l’ancienne société ferroviaire publique grecque TrainOSE, rebaptisée Hellenic Train, a été privatisée et vendue dans le plan du remboursement de la dette, au groupe italien Ferrovie Dello Stato Italiane pour la somme de 45 millions d’euros, en 2017, sous le gouvernement Syriza. Les trains, présentés comme neufs par l’entreprise en 2017, datent en fait des années 90…
Sans la dégradation des conditions de travail et du matériel, qui avait été dénoncée par les syndicats de l’industrie ferroviaire à l’administration, quelques mois plus tôt, l’accident n’aurait sans doute pas eu lieu. Et c’est la politique du gouvernement qui est à la racine de cette dégradation, ne suivant aucune norme de sécurité : manque de personnel (licenciements en masse les années précédentes, dès 2017 plus de 2300 employés sont transférés dans d’autres ministères ou « mis à la retraite »), système de signalisation complètement défaillant et aucun contrôle électronique.
À la gare de Larissa, le chef de gare, travaillant depuis quatre nuits d’affilée, était seul cette nuit-là et devait surveiller la ligne qui relie les deux plus grandes villes du pays, ne pouvant agir que manuellement. Les risques d’incident étaient donc très importants. Lorsque le chef de gare s’aperçoit que les deux trains roulent sur la même voie, il ne peut ni avertir les conducteurs, (les trains roulent à 150 km/h) ni déclencher un arrêt automatique non existant.
Le reflet des politiques de l’État
Ces manifestations témoignent de la colère et de la détermination de la population, afin de mettre au pied du mur les responsables de ces politiques.
Les manifestants se lassent de la propagande des médias, relais du gouvernement. Entre dissimulation des documents audios et vidéos et blocage et nettoyage du site, la culpabilité du gouvernement et du Premier ministre Mitsotakis, qui s’empressent d’accuser le cheminot de négligence et refusent de prendre leurs responsabilités, est évidente.
Un rassemblement appelé par les familles des victimes le 26 janvier s’est transformé en énormes manifestations. Car derrière la tragédie de Tempi, les manifestants retrouvent les politiques qu’ils subissent quotidiennement.
Les travailleurs du secteur privé, en grève les 22 et 23 janvier derniers pour la hausse des salaires, ont vu leurs droits petit à petit attaqués par le gouvernement, devenant ainsi bien plus facilement vulnérables aux offensives patronales. Quand ils ne sont pas licenciés, ils exercent dans des conditions de plus en plus intenables : pendant le seul mois de janvier 2025, il y a déjà eu 15 morts au travail !
Le démantèlement des services publics, du système de santé et de l’éducation, associé à des salaires extrêmement bas (smic net à 700 euros pour un loyer moyen de 600 euros), baisse radicalement le pouvoir d’achat (de 40 % depuis 2009 selon les syndicats), déjà noyés entre les taxes, les impôts et les factures d’électricité. Il est d’ailleurs désormais légal pour les travailleurs de cumuler deux emplois, ce qui les amène à enchaîner des doubles journées, une loi qui profite une nouvelle fois aux patrons, auxquels l’État laisse la porte grande ouverte…
Ce sont les dirigeants du pays qui depuis 2011 appliquent des mesures d’austérité aberrantes imposées par les banques européennes, en accord avec les patrons grecs qui profitent de la situation, prêts à dépouiller la population jusqu’aux derniers centimes.
Ce sont des choix politiques : alors que le pays est décimé chaque année par des incendies destructeurs et que les pompiers sont en grave sous-effectif, l’État consacre, en 2024, près de 10 milliards d’euros à l’achat de matériel militaire, en avançant la nécessité d’une cohésion nationale face à la menace turque, propageant ainsi toujours plus d’idées réactionnaires, racistes et anti-immigration, forçant les jeunes hommes à effectuer le service militaire et à accomplir « leur devoir envers la nation », des idées nauséabondes remplies de préjugés xénophobes et racistes.
Comme en France, ce sont des sommes considérables qui sont consacrées aux mécanismes de répression et à l’armement, toujours au profit des principaux hommes d’affaires et des entreprises d’armement.
C’est la population entière qui n’a plus d’oxygène !
Les manifestants n’échappent pas à la répression. Le gouvernement incrimine la jeunesse, envoie les CRS (MAT) à la pelle réprimer à tout-va toute forme de révolte sociale, tue des manifestants en toute impunité, en s’acharnant tout particulièrement sur les Roms.
La population n’a pourtant pas perdu sa voix ! Le gouvernement Mitsotakis ne s’attendait pas à une réponse populaire aussi massive. Bien qu’il rassure le Parlement sur les plateaux télé en disant qu’il restera jusqu’au bout de son mandat, les travailleurs pourraient décider de les jeter plus tôt que prévu : lui et sa politique. Il se pourrait qu’il rejoigne son collègue serbe assez rapidement !
Des manifestations étudiantes et lycéennes ont aussi eu lieu le 7 février dernier : 30 000 jeunes à Athènes. L’intersyndicale semble prête à appeler à une grande journée de grève le 28 février, deux ans après les faits.
Si les partis de gauche soutiennent ces mouvements, il est important de rappeler, que le KKE (Parti communiste) autant que Syriza ont prouvé dans le temps leur capacité à trahir les revendications de la classe ouvrière. Quand « à la gauche radicale » comme Antarsya ou Mera25 de Varoufakis, ils semblent se concentrer à leur habitude sur ce qu’il se passe au Parlement, dirigeant leur propos contre le gouvernement actuel, oubliant très rapidement qu’ils font pour la plupart partie de ceux qui ouvrirent grand les portes à la Troïka et au mémorandum, mettant en place les pires politiques d’austérité connues en Europe.
Tempi a déclenché la colère de la population se regroupant en masse dans la rue, il est à présent primordial d’appeler à la multiplication de ces manifestations et des grèves accompagnées de perspectives révolutionnaires, où la classe ouvrière grecque déciderait pour elle-même, sans attendre quoi que ce soit de la justice bourgeoise ou d’un nouveau gouvernement qui sera au service des capitalistes.
C’est à la jeunesse et aux travailleurs qui se mobilisent depuis deux ans d’être à la tête de ce mouvement et de s’organiser sur leurs lieux de travail, dans leurs facs et dans leurs lycées, par des occupations, des grèves, des blocus, des manifestations. Comme les dockers du Pirée, qui avaient su s’organiser pour empêcher le départ d’un bateau rempli de munitions en direction de Haïfa en octobre 2024, ce sont les mobilisations coordonnées des travailleurs qui peuvent véritablement atteindre et renverser les politiques des grands patrons et de l’État. C’est dans leur force que réside le changement !
Lara Kokkineli, février 2025