Argentine : contre Milei, un million de fières colères
- Publication le
Le 23 janvier dernier, le président argentin d’extrême droite, Javier Milei, tenait à nouveau un discours ultra-réactionnaire au forum de Davos, associant notamment homosexualité et pédophilie, et comparant transgenres et meurtriers. Une énième provocation abjecte qui a légitimement choqué et provoqué une réaction de masse à travers une gigantesque « marche des fiertés anti-raciste et anti-fasciste », dont un million de manifestants défilaient à Buenos Aires le 1er février. Cele Fierro, députée du Front de gauche des travailleurs-Unité (FIT-U) (Mouvement socialiste des travailleurs), nous explique quelle politique l’extrême gauche tente de mener dans ce contexte.
Peux-tu nous décrire comment s’est organisée cette marche des fiertés anti-raciste ?
Le discours de Javier Milei au Forum de Davos a fait réagir toute la population qui veut combattre le système patriarcal et l’homophobie. Deux jours après son discours, une première assemblée s’est tenue dans la province de Buenos Aires, réunissant des secteurs très variés, plus ou moins politiques, avec en tête des groupes LGBT. Le président a bien tenté de revenir sur ses propos trois jours avant la marche en espérant dégonfler la mobilisation, jurant que ses propos avaient été déformés. En vain, puisque la mobilisation a rassemblé un million de manifestants dans la capitale et s’est tenue dans bon nombre de provinces du pays. Beaucoup de secteurs organisés se sont ajoutés à cette manifestation multi-sectorielle : des retraités, certains syndicats et travailleurs de la santé, tout le mouvement social, des groupes écolos et certains partis politiques. Tous ceux qui luttent étaient là.
Comment expliquer une telle réaction de la population, bien plus nombreuse que lors de la traditionnelle marche des fiertés de novembre ?
L’Argentine a enchaîné plusieurs mobilisations massives depuis l’élection de Milei : une grève générale l’an dernier ; notre plus gros 8 mars (journée internationale de lutte pour les droits des femmes) depuis la vague verte en 2018 ; le plus gros 24 mars (date de commémoration du coup d’État de la dictature militaire en 1976) depuis des décennies ; la défense de l’université publique en avril… Il ne faut pas oublier que toutes les luttes démocratiques – de la chute de la dictature jusqu’à la légalisation de l’avortement – ont entraîné d’amples secteurs de la population.
Mais depuis six mois, le ralentissement de l’inflation – alors que les conditions de vie des travailleurs continuent d’empirer – et les nouveaux dispositifs réglementaires qui répriment toute mobilisation avaient freiné cet élan. D’autant que depuis l’élection de Milei, il faut souligner la passivité totale des centrales syndicales, complètement bureaucratisées et directement liées au péronisme. Les partis péronistes ont beau jouer l’opposition au Congrès, ils accompagnent en réalité la politique de Milei en votant en faveur de ses lois anti-ouvrières quand il lui manque des voix.
Quelles ont été les réactions après cette manifestation d’ampleur ?
Comme à son habitude, Milei a attaqué ceux qui se sont mobilisés en expliquant qu’ils ne comprenaient rien à la politique… Comme si leur motivation n’était pas politique ! Il ne pouvait pas occulter la massivité de la mobilisation, qui montre clairement un refus très transversal. La mobilisation fait forcément parler dans les entreprises. Mais le Parti justicialiste (principal parti péroniste), à travers des organisations LGBT liées à Cristina Kirchner et les syndicats dans lesquels ils sont majoritaires, tente d’imposer un dangereux débat identitaire et séparatiste : d’un côté les femmes, de l’autre les minorités de genre… Nous sommes tous concernés par ces questions, peu importe notre genre, notre couleur de peau ou notre sexualité : nous sommes tous travailleuses et travailleurs, c’est la seule identité qu’il faut retenir.
Selon toi, comment aborder la suite ?
Notre politique vise la coordination de toutes les luttes, afin de converger vers l’unité nécessaire pour s’affronter à ce gouvernement. Tous les jours de la semaine ont lieu des actions de mobilisation. Jeudi 13 février se tenait une réunion avec les syndicats de la santé dans lesquels nous avons des mandats syndicaux pour poser une date afin que s’ajoutent d’autres secteurs. Vendredi 14, un autre secteur syndical appelait à une « marche de la résistance ». Le lendemain, une mobilisation à propos des incendies qui ravagent la Patagonie depuis des semaines. Nous organisons également une réunion contre l’extrême droite gouvernementale et toutes ses déclinaisons locales. Nous voudrions que tous ceux qui luttent s’y agrègent. Et nous préparons déjà la suite avec la perspective du 8 mars, puis du 24 mars dans la foulée.
Tu as évoqué les incendies en Patagonie, peux-tu nous raconter ce qu’il s’y passe ?
Déjà plus de 35 000 hectares sur trois provinces sont partis en fumée dans des incendies qui ravagent la Patagonie. Ce n’est pas nouveau dans la région, mais celui-ci prend une dimension catastrophique à cause de la politique extractiviste du gouvernement concernant les matières premières et le négationnisme climatique qui l’accompagne. Milei définance massivement les pouvoirs publics. À El Bolsón, des rivalités ont éclaté entre grands propriétaires et la population qui tente de s’organiser, malgré la passivité de l’État. Certains propriétaires de lacs refusent de partager l’eau, d’autres continuent de planter du pin (pour une culture intensive de bois), ce qui rend les incendies plus violents. Au lieu de déclarer l’état d’urgence et de déployer les moyens nécessaires, le gouvernement inculpe les bénévoles et accuse les villages mapuches, les taxant au passage de terroristes. Nous essayons d’organiser les gardes-forestiers aux contrats précaires de trois mois et les pompiers, essentiellement bénévoles. Les voisins s’organisent aussi pour leur venir en aide avec des aides alimentaires pour secourir les sinistrés et des collectes de dons, soutenues par les artistes de tout le pays.
NB : Le péronisme est un courant politique très large (du centre gauche à la droite) et massif en Argentine, inspiré du général Perón. Cet homme politique tient sa popularité de sa lutte contre la collaboration avec les nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. Proches d’une position sociale-démocrate, Cristina Kirchner et Alberto Fernández, tous deux ex-présidents, représentent une large frange du péronisme.