dimanche 9 juillet 2023

galia

 

« Face à ces hordes sauvages, demander le calme ne suffit plus, il faut l’imposer ! […] L’heure n’est pas à l’action syndicale mais au combat contre ces « nuisibles » […] Une fois [l’Etat de droit] rétabli, nous savons que nous revivrons cette chienlit que nous subissons depuis des décennies ». Dans leur communiqué fascisant du 30 juin, trois jours après le meurtre de Nahel, les syndicats majoritaires de la police, UNSA-police et Alliance, crachaient leur haine contre les jeunes qui se révoltaient. En utilisant le mot « chienlit » employé par De Gaulle contre la grève générale démarrée par les étudiants en Mai 1968, ils ont clairement montré que pour les tenants de l’ordre, du pouvoir, la révolte des jeunes des banlieues ouvrières et des quartiers populaires est partie intégrante du soulèvement du monde du travail et de la population contre la politique des classes possédantes.

Fragilisé par le mouvement de masse de ces six derniers mois contre la réforme des retraites et l’hostilité profonde à sa politique que ce dernier a révélée, ridiculisé par la comédie hypocrite d’un « apaisement » fracassé par la révolte des jeunes, Macron espère reprendre la main en mettant en scène une répression inédite. Darmanin a ordonné un déploiement sans précédent de la police, du Raid, des BRI et des BAC, 45 000 hommes surarmés, hélicoptères survolant les cités, véhicules blindés dans les rues, charges policières jusque sur les Champs-Elysées à Paris tandis que Dupond-Moretti fait donner les tribunaux et tomber les condamnations, la plupart à de la prison ferme.

Ils n’ont pas pu pour autant faire taire la contestation malgré un sentiment ambiant de lassitude après l’échec du mouvement contre la réforme. La marche pour Adama ce samedi 8 juillet qui devait se tenir à l’origine à Beaumont ayant été interdite par le préfet de l’Oise, le comité justice et vérité pour Adama appelait à 14 h à un rassemblement place de la République à Paris, et malgré une nouvelle interdiction et la pression policière, il a rassemblé plusieurs milliers de manifestant·e·s. Y participait aussi le réseau à l’origine de l’appel « Notre pays est en deuil et en colère » autour duquel se sont organisés des rassemblements ou des manifestations dans une cinquantaine de villes dont Angoulême où a été tué, le 14 juin dernier par la police au cours d’un contrôle routier, un autre jeune, Alhouissen, 19 ans, d’origine guinéenne. A la fin de la manifestation à Paris, le frère d’Adama et d’Assa Traoré a été interpellé par la BRAVM d’une manière particulièrement violente et des journalistes témoins ont été molestés. Une agression lâche, une provocation délibérée du pouvoir. Et aujourd’hui, Assa Traoré est poursuivie pour organisation de manifestation interdite.

Dans le climat ultra réactionnaire qui s’installe dans le pays, le mouvement ouvrier, les forces de la contestation sont, au-delà d’une solidarité élémentaire avec la révolte des jeunes face aux violences de l’État, confrontés à la question décisive d’apporter une réponse et des perspectives qui permettent au monde du travail et à la jeunesse, au mouvement des femmes, de se défendre contre la police et l’Etat et de préparer la contre-offensive.

Machine judiciaire mise au pas par le pouvoir, justice expéditive

Depuis l’assassinat de Nahel et des émeutes qui s’en sont suivies, 3693 jeunes ont été placés en garde à vue dont 1149, soit 31 %, sont mineurs, 1122 personnes ont été déférées devant la justice. Parmi elles, 585 ont été jugées en comparution immédiate et 448 ont été incarcérées, soit condamnées à de la prison ferme avec mandat de dépôt -incarcérées immédiatement après l’audience-, soit placées en détention provisoire dans l’attente de leur procès.

Journalistes, avocat·e·s, observateur·e·s des droits ont protesté contre la lourdeur des peines, plusieurs mois de prison ferme, au terme de simulacres de procès durant 15 minutes, sans preuves bien établies souvent, pour participation à des « pillages ». Ils relèvent aussi le racisme manifeste de policiers qui ont tabassé les prévenus non blancs comme de certain·e·s procureur·e·s et juges aux propos xénophobes.

Les ordres viennent de haut. Dupond-Moretti, le ministre de la justice, le même qui soupçonné d’avoir fait pression sur plusieurs magistrats anti-corruption a fait l’objet d’une mise en examen il y a quelques mois, a demandé dans une circulaire dès le 30 juin « une réponse judiciaire rapide, ferme et systématique » et préconisé « l’adaptation du fonctionnement des juridictions ». « Dès le lendemain, dans plusieurs tribunaux de la région parisienne, explique l’avocat Raphaël Kempf dans Libération le 7 juillet, on a créé des chambres spéciales pour juger des centaines de jeunes. Ce n’est ni plus ni moins qu’une justice d’exception qui a été créée sur l’ordre du gouvernement, et que les magistrats du siège -pourtant indépendants- n’ont pas souhaité remettre en cause ».

Le pouvoir a ainsi organisé la mise en scène d’une répression massive et impitoyable des jeunes qui se sont révoltés, y ajoutant un discours moralisateur à l’égard des parents visant à criminaliser aux yeux de l’opinion bien-pensante des pans entiers de la population ouvrière. Le même Dupond-Moretti dont le fils, soupçonné de violences conjugales, a été placé sous contrôle judiciaire, déclarait ainsi : « le Code pénal punit de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende chaque fois que les parents, par leur désinvolture coupable, mettent en péril l’éducation, la moralité et la sécurité de leurs enfants. Ceux-là méritent d’être punis ».

Le déferlement de la réaction contre la révolte des jeunes vise l’ensemble des classes populaires

Dans les médias des Bolloré and Co, politiciens et commentateurs de droite et d’extrême droite, encouragés par le premier rôle donné par Macron et Darmanin aux forces de police et à leur violence, déversent jusqu’à l’écœurement leurs propos pleins de haine de classe et d’arrogance. A l’exemple, dimanche dernier, du président du groupe LR à l’Assemblée, Ciotti, invité du Grand Rendez-vous Europe 1 - CNews - Les Echos. « Il doit y avoir une réponse pénale implacable, d’une fermeté absolue. Il faut des incarcérations quasi systématiques, des comparutions immédiates, que ces barbares soient mis hors d’état de nuire » a-t-il déclaré.

Les jeunes qui ont osé se révolter sont au banc des accusés, condamnés sans même l’ombre de circonstances atténuantes alors qu’ils sont les premières victimes des politiques de régression sociale menées depuis des années par Macron et ses prédécesseurs, qui ont conduit à l’aggravation de la précarité et de la misère, à la dévastation des services publics de la santé, de l’éducation, du logement social, à l’omniprésence d’une police gangrenée par le racisme et l’extrême droite. La campagne des Ciotti and Co vise l’ensemble des classes populaires en accusant celles-ci d’être responsables de leur propre sort, de leur pauvreté, de l’aggravation insupportable de leurs conditions d’existence alors qu’elles sont les victimes de politiques qui ont comme seul objectif de favoriser l’enrichissement des plus riches en prenant dans les poches des travailleurs et de la population. Selon le magazine Challenges, publié le 5 juillet dernier, les 500 plus grandes fortunes françaises totalisent 1170 milliards d’euros cette année, 45 % du PIB, contre 10 % en 2009.

Macron se rêve en Bonaparte, chef du parti de la racaille réactionnaire

Tout en ne cédant pas à la pression de ses rivaux de droite et d’extrême droite qui n’ont cessé de réclamer l’état d’urgence, sans le décréter officiellement, Macron l’a cependant mis en place dans les faits, par un déploiement inédit de la police et de la gendarmerie, la mise au pas des tribunaux, les consignes données aux préfets d’ordonner le couvre-feu dans les banlieues pour les mineurs, l’arrêt des transports de surface à partir de 21 h. Il veut montrer qu’il est capable de rétablir l’ordre, d’agir en chef d’un Etat fort à qui les classes possédantes peuvent faire confiance.

Macronistes, LR et RN, quelles que soient les nuances des uns ou des autres, dans leurs propos, leur propagande officielle et leur démagogie xénophobe, se retrouvent unis pour protéger les intérêts des classes possédantes contre les révoltes populaires, constituant dans les faits un parti de l’ordre pour garantir le maintien des profits du CAC40 et les grandes fortunes, le seul problème qui alimente les dissensions entre eux étant de savoir qui en prendra la tête pour arriver demain au pouvoir.

Pour l’heure, alors que la situation économique internationale est de plus en plus instable et que la guerre en Ukraine s’enlise dans une escalade militaire orchestrée par l’Otan, Macron cherche à s’imposer comme chef et arbitre des clans du parti de l’ordre pour retrouver une base afin de poursuivre sa politique au service du patronat, sa guerre contre le monde du travail. Cette mise en scène politicienne ne suffira probablement pas à lui assurer une stabilité parlementaire d’autant que les surenchères réactionnaires seront bien impuissantes à étouffer la colère.

Contre le front de la réaction, un front du monde du travail, de la jeunesse, des femmes

A écouter les médias aux ordres, leurs sondages, une très forte majorité de la population serait hostile aux jeunes qui se sont révoltés. Cette manipulation repose largement sur l’identification de la révolte aux destructions d’installations utiles à la population ou aux pillages qui indignent ou sont incompris sans pour autant effacer la colère suscitée par le meurtre de Nahel ou la conscience d’une situation sociale de plus en plus dégradée. Même parmi les 220 maires invités à l’Elysée par Macron, s’est exprimée le manque de moyens mis à leur disposition par l’État, du délabrement des services publics, du logement social, de la détresse des habitants des communes populaires. Le bruit assourdissant de la propagande officielle et des grenades ne peut masquer les racines de la colère et de la révolte, l’exploitation, la misère, les inégalités sociales criantes et grandissantes, les humiliations quotidiennes infligées par la police, contrôles au faciès, fouilles au corps, verbalisations et condamnations pour des motifs dérisoires inscrites à leur casier judiciaire.

Les jeunes des quartiers populaires ne trouvent comme moyens d’exprimer leur révolte que la violence aveugle et les destructions, une impasse, parce qu’ils sont laissés sans perspectives par l’ensemble du mouvement ouvrier, syndicats et partis politiques, qui ont déserté les quartiers populaires, abandonné la perspective d’une lutte globale pour changer le rapport de forces entre le monde du travail et le patronat et l’État, préoccupés seulement par leur participation aux institutions, aux jeux bien huilés de la démocratie bourgeoise et au prétendu dialogue social à l’échelle nationale comme au sein des entreprises.

Face à la violence de l’État, de sa police, nous sommes entièrement solidaires de ces jeunes. Leur révolte fait partie intégrante de la révolte des travailleurs, des jeunes, des femmes, qui s’est manifestée pendant le mouvement contre la réforme des retraites. Actrices et acteurs de ce mouvement, équipes militantes et collectifs de lutte, qui ont commencé à construire des rapports démocratiques et d’indépendance de classe depuis 2016 et la loi Travail, le mouvement des Gilets jaunes, les mouvements de 2019-20 et des six derniers mois contre les réformes s’attaquant aux retraites, nous avons la possibilité, ensemble et avec eux, de créer les relations et les conditions qui permettent d’ouvrir la perspective d’unifier nos forces et nos combats, dans une lutte globale contre Macron et la politique des classes dirigeantes.

Bien que solidaires de l’appel national « Notre pays est en deuil et en colère » et de l’exigence de l’abrogation de la loi de 2017 qui a donné un véritable permis de tuer à la police, nous pensons qu’il est erroné de se revendiquer de la nation et de demander au gouvernement et à l’État de réformer la police et d’agir pour les banlieues et la jeunesse des quartiers. La régression sociale, l’accentuation de la répression sont constitutives de leur politique, entièrement dédiée au maintien des profits des groupes capitalistes, qui exige une exploitation des travailleurs sans limites et, pour plier la population à celle-ci, le renforcement de la machine répressive de l’État « républicain » à laquelle peuvent se joindre, comme ils l’ont fait dans quelques villes, des troupes supplétives de l’extrême droite.

Une partie de la Nupes clarifie ses confusions en se rangeant aux côtés du parti de l’ordre face à la révolte des jeunes, comme le dirigeant du PC Roussel et celui du PS, Faure, qui ont tenu à se désolidariser de Mélenchon et de LFI et de leur refus de condamner les jeunes et qui n’ont pas participé aux manifestations de samedi.

La défense des intérêts du monde du travail, de la jeunesse passe par une rupture avec les illusions sur les possibilités de réformer la police, l’État, d’avoir un bon parlement, une bonne constitution, une bonne république.

En rupture avec ces vieilles illusions faillies qui voudraient composer avec la société d’exploitation, celles et ceux qui tirent les leçons de l’échec de la mobilisation pour les retraites, des violences policières et de la violence de l’État contre la jeunesse des quartiers, celles et ceux qui comprennent le danger de l’offensive réactionnaire en cours ont besoin de se coordonner, de se regrouper, de se constituer en parti pour avoir les moyens d’agir collectivement. La tâche des différents courants révolutionnaires est de travailler à ce rassemblement de classe indépendant des illusions parlementaires ou du dialogue social.

Un front de classe, des travailleurs, des jeunes, des femmes est indispensable pour apporter une issue progressiste, démocratique, socialiste à la régression capitaliste, pour que la population impose son contrôle démocratique sur l’ensemble de l’économie et sur l’État, organise sa propre sécurité, impose les mesures nécessaires à ses besoins, mette hors d’état de nuire le front réactionnaire, la violence sociale et policière des classes possédantes.

Galia Trépère