Entretien avec Maël Hector, représentant syndical de SUD Santé au CHU de Caen
(Entretien réalisé le 9 juillet 2025)
Le laboratoire du CHU de Caen s’est mobilisé pendant onze semaines pour s’opposer, suite à la baisse d’une prime, à une perte de la rémunération, et exiger des recrutements. Peux-tu rappeler le déroulé de ces onze semaines ?
Dès la mi-décembre, des rumeurs circulaient, et questionnée par des représentants syndicaux, la direction du CHU a fait connaître sa volonté de baisser, voire supprimer, la prime d’insalubrité des agents du laboratoire (perte de 40 euros par mois). Cette mesure a été mise en place dès le 1er janvier, mais les agents l’ont appris mi-février, voire certains sur leur fiche de paie début mars, la prime étant versée tous les deux mois.
Dès que l’information a été officielle, nous avons organisé une première heure d’information syndicale (HIS) fin février avec Sud et FO. À la demande de plusieurs collègues, l’intersyndicale a lancé un préavis de grève reconductible le 26 mars, avec un premier débrayage de deux heures le 3 avril. Nous avons ensuite maintenu un rythme d’une heure de débrayage par semaine jusqu’au 13 mai, où nous avons obtenu un rendez-vous avec la direction. Le 16 mai, la direction nous a donné un accord oral, accepté par les agents le 20 mai. Ce n’est que le 20 juin que nous avons obtenu un accord écrit, signé par la direction, qui officialise l’instauration d’une prime de participation aux recettes extérieures (prime d’intéressement, aussi appelée « B externe »).
Qu’est-ce qui, selon toi, a déclenché le mouvement de grève ?
Il y a une fatigue générale et un ras-le-bol chez les collègues, qui remontent notamment au déménagement dans notre nouveau bâtiment centralisant et mutualisant toutes les analyses biomédicales du CHU. Les agents ont fait des efforts considérables pour assurer la continuité des analyses, tout en se formant à de nouvelles machines, en déménageant les activités et en s’adaptant à une nouvelle organisation du travail. Tout cela s’est fait sans aucun geste de reconnaissance de la part de la direction, qui considère que le bâtiment neuf est un cadeau suffisant pour les agents. Deux gouttes d’eau ont fait déborder le vase : l’absorption de l’activité du laboratoire de la Côté Fleurie avec seulement un agent prévu en recrutement, alors qu’on en demandait 3,8, et la baisse de la prime d’insalubrité. Ces deux éléments ont fait l’effet d’une bombe : on nous demande de travailler plus tout en étant payé moins et avec zéro reconnaissance sur leur travail au quotidien. Plusieurs collègues sont alors venus voir les représentants syndicaux, dont moi, pour demander à se mettre en grève, ce que nous avons fait avec Sud et FO.
Comment qualifierais-tu l’attitude de la direction ?
Très méprisante, en particulier de la part de la DRH, tant dans son fonctionnement quotidien que pendant la mobilisation. On a eu droit à des remarques disant que se mobiliser ne changerait rien, qu’on dérangeait pour rien alors qu’on avait déjà des locaux neufs et qu’on devait s’en contenter. Dans sa communication, on a aussi senti une volonté claire de diviser les agents, en tentant de nous culpabiliser pour nos revendications, notamment en conditionnant les primes à l’arrêt des recrutements. Pourtant, c’est bien la direction qui décide de la politique d’emploi ! Elle a aussi été offensive envers le mouvement de grève, en interdisant aux journalistes de se joindre aux cortèges de débrayage et en demandant au service de sécurité du CHU d’encadrer notre cortège. Finalement, ça s’est retourné contre elle et cela a renforcé la détermination des collègues.
Y a-t-il eu d’autres tentatives de la direction pour diviser les grévistes ?
Lors de la réunion du 13 mai la direction s’est engagée à faire une proposition concrète sur la prime d’ici le vendredi 16 mai. La semaine du 13 mai était justement sensée être un temps fort de mobilisation, un audit du laboratoire était prévu toute la semaine et on souhaitait se rendre le plus possible visible. Cela peut expliquer un peu pourquoi la direction a décidé d’ouvrir le dialogue à ce moment-là. Le vendredi 16 mai, nous n’avions qu’un accord oral de la direction, accepté par les agents le 20 mai. Mais, même sollicitée, la direction est alors restée silencieuse pendant un long moment. Les agents étaient alors divisés sur l’attitude à mener. Certains souhaitaient laisser le bénéfice du doute et attendre sans compromettre les négociations avec des débrayages, d’autres au contraire souhaitaient remettre la pression pour aboutir à un accord. Avec Sud, nous avons soutenu ces derniers : nous étions plusieurs à nous déclarer grévistes le week-end, cela dit sans aucun impact sur les activités, puisqu’un service minimum était assuré. La direction a tenté de revenir sur ses engagements oraux en dénonçant cette reprise du mouvement et, malheureusement, cela a suffi à créer des divisions parmi les agents.
Tu mets beaucoup en avant le collectif des grévistes, ou des agents. Toutes les décisions étaient-elles prises collectivement ?
Oui, même si c’était l’intersyndicale Sud et FO qui encadrait et représentait les agents, on a toujours veillé à faire valider les propositions en assemblée. Et on a toujours été à l’écoute des grévistes : le mouvement a débuté à la demande des collègues, tout comme les coups de pression remis les week-ends du 31/05 et du 07/06. Autant que possible, on a utilisé les HIS pour organiser des assemblées où la suite du mouvement et les revendications étaient décidées par vote. Et, quand ce n’était pas possible, on prenait un peu de temps après chaque débrayage pour échanger.
Tu as parlé de la presse, c’était important ?
Oui, cela faisait partie de notre stratégie pour obtenir gain de cause. Faire grève dans un hôpital est toujours délicat : même si, au laboratoire, on n’est pas au contact direct des patients, notre travail a un impact sur les soins. Et puis, on sait que la direction est très soucieuse de son image. On a donc choisi des débrayages d’une heure par semaine, en étant le plus visibles possible : devant le laboratoire, mais aussi dans d’autres bâtiments accueillant du public ou dans des services où d’autres collègues pouvaient être touchés par la suppression de la prime d’insalubrité. J’ai aussi été beaucoup sollicité pour des interviews, y compris à la radio et par des élus locaux.
La prime obtenue au final est une prime d’intéressement sur les activités externes, ce n’est donc pas la prime d’insalubrité qui était l’élément déclencheur du mouvement, mais tu parles quand même d’une victoire, est-ce que peux expliquer un peu cela ?
En effet, la réduction de la prime d’insalubrité n’a été que le déclencheur et nous savions depuis le départ que, légalement, ce serait difficile d’obtenir un retour en arrière. L’obtention de la prime d’intéressement pour les techniciens et aides de laboratoire était une revendication de longue date, c’était d’ailleurs la prime que l’on voulait absolument avoir avec ce mouvement. La direction a toujours refusé de la donner car elle sait très bien qu’elle est plus intéressante. Cette prime correspond à un pourcentage des recettes issues des analyses extérieures facturées par le CHU. Les demandes peuvent venir d’autres laboratoires ou centres hospitaliers, publics ou privés. Pour le moment, le taux d’intéressement est bas et ne compense que la perte de la prime d’insalubrité, mais nous espérons pouvoir négocier une augmentation dans l’avenir.
Tu n’es pas méfiant de voir une logique du privé s’installer dans un hôpital public ?
Si, bien sûr. Mais ces prestations extérieures sont déjà assurées par le CHU, et nous n’avons pas réellement notre mot à dire là-dessus – en tout cas, nous, agents de laboratoire, n’avons pas les moyens de nous y opposer. Elles constituent une source de revenus complémentaire à l’enveloppe ministérielle, qui diminue d’année en année. L’État pousse les hôpitaux à fonctionner de plus en plus comme des établissements privés. Ce que nous demandons, c’est simplement de pouvoir bénéficier d’une partie de cette richesse, puisque c’est nous qui faisons le travail.
Maintenant que le mouvement est terminé, quel bilan tires-tu de ces onze semaines de mobilisation ?
Très positif ! D’abord, la mobilisation a permis d’annuler l’attaque de la direction, avec à la clé une prime qui nous convient mieux. Elle a aussi permis de recréer du lien et de la solidarité entre les agents du laboratoire. Ce qui est peut-être dommage, c’est qu’on n’a pas réussi à élargir le mouvement à d’autres services. On a essayé, en distribuant des tracts au self à midi, ou en débrayant dans le service de logistique par exemple, mais sans succès. Pourtant, plusieurs collègues dans d’autres services sont également impactés par la diminution de la prime d’insalubrité. Le problème, c’est qu’ils sont souvent peu nombreux à la percevoir, donc il n’y a pas eu de dynamique collective.