LIBERATION
Philippe Poutou : «Les élections ne changent pas la vie, il faut des luttes sociales»
Depuis le débat télé à onze, le candidat du NPA a obtenu une visibilité nouvelle. Audible surtout sur son programme social, il ne voit pas Jean-Luc Mélenchon comme un adversaire, mais regrette qu’il assume «une ligne PS de Mitterrand et Jospin
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Philippe Poutou : «Les élections ne changent pas la vie, il faut des luttes sociales»
Après
cinq ans passés loin des caméras, Philippe Poutou est de retour.
L’ouvrier de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde) mène sa
deuxième, et sans doute dernière, campagne pour l’élection
présidentielle au nom du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). De sa
candidature, on retiendra son inaltérable sourire malgré la
condescendance de certains chroniqueurs politiques ou ses sorties
contre Marine Le Pen - lui qui «n’a
pas d’immunité ouvrière» - et
François Fillon - «plus on
fouille, plus on sent la corruption» -
lors du débat du 4 avril. Ses soutiens, vers qui le candidat
trotskiste s’était retourné en plein direct bousculant les codes
de la télévision, ne le quittent pas. Dans la grande imprimerie
montreuilloise où siège le parti révolutionnaire, on croise ses
prédécesseurs, Olivier Besancenot et Alain Krivine, affairés parmi
les tas d’affiches de campagne. Philippe Poutou, militant de longue
date, syndicaliste CGT, ne compte pas arriver jusqu’à l’Elysée,
mais souhaite faire entendre la «colère» populaire.
Après les mobilisations contre la loi travail au printemps 2016,
il regarde de près l’évolution du conflit social en Guyane,
espérant y voir les prémices d’un rapport de force engagé contre
les «riches» et
les «puissants».
Rencontre.
Vous avez obtenu 1,15 % des suffrages en 2012. Vous n’avez pas l’intention de devenir chef de l’Etat et voulez même supprimer la présidence de la République. Pourquoi êtes-vous candidat ?
Ce
n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec la façon dont
fonctionne la société qu’on ne doit pas être là quand il y a un
rendez-vous politique. Puisqu’il y a un échec total de toutes les
idées et de toutes les politiques libérales, avec lesquelles nous
sommes en profond désaccord, on estime légitime que d’autres
idées soient défendues. Nous souhaitons que les gens fassent de la
politique eux-mêmes, qu’ils aient confiance dans leur force
collective. L’histoire le montre : sans bataille sociale, sans
intervention de la population, sans rapport de force entre les camps
sociaux, rien ne change vraiment. L’image, c’est «reprendre la
rue», mais il faut aussi reprendre le contrôle sur l’économie
donc sur des entreprises et les banques. Il n’y a aucune raison de
subir et de se taire. Pourquoi la réduction du temps de travail et
l’interdiction des licenciements seraient hors sujet ? C’est pas
plus con que le reste. On a toutes les raisons d’être là et de
défendre une autre façon de concevoir la société.
Vous avez marqué les esprits lors du débat à onze, le New York Times écrit même que vous avez «éclaté la bulle politique française». Est-ce que vous avez réussi à vous faire entendre ?
C’est
fabuleux, même par rapport à la fin de la campagne 2012 où on
avait pu se faire entendre un peu. J’ai vu qu’il y a de
l’hostilité et de la haine dans des tweets. Mais dans la rue,
heureusement, je m’en tire bien. Les gens viennent nous
dire «merci» ou «bravo,
il faut continuer». Le fait d’avoir
balancé à la télé sur Fillon et Le Pen permet de
s’apercevoir qu’il y a une vraie colère et une satisfaction de
m’avoir entendu dire ce que personne ne pouvait ou n’a su dire.
Vos propositions sont-elles audibles ?
Oui,
les gens ne retiennent pas que l’immunité ouvrière. Ils
retiennent aussi la solidarité avec la Guyane, la fin des
interventions militaires en Syrie ou l’interdiction des
licenciements, une idée qui est largement acceptée parce qu’il y
a quand même plus de 6 millions de gens dans la merde. Ce ne
sont pas que des chiffres, quelque chose est en train de péter. Et
ça va continuer. Cette colère n’arrive pas à sortir. Nos idées
et notre message passent. On aimerait que cela se traduise en votes,
car cela peut être important d’avoir un discours un peu radical
anticapitaliste qui émerge de cette élection-là et d’entendre un
autre message que «Le Pen au second tour».
Au-delà du Nouveau Parti anticapitaliste, qui sont vos électeurs potentiels ?
On
milite avec des milieux plutôt abstentionnistes, du côté des
contestataires zadistes, des libertaires, quelques-uns pourraient
voter. Au-delà de ça, on sait qu’on peut décrocher quelques
électeurs du Front national. Ce serait bien, parce qu’il y a pas
mal de prolos, de chômeurs, de gens qui sont dans la merde qui vont
voter Le Pen. Après, on voit des gens qui sont entièrement
d’accord avec ce qu’on dit mais qui vont voter Mélenchon parce
que c’est lui qui a la dynamique et qui pourrait peut-être être
au second tour.
Vous dites que Mélenchon n’est pas votre adversaire. Sur quels points êtes-vous en désaccord ?
Ce
n’est pas un adversaire parce que le milieu qui vote Mélenchon, ce
sont des camarades de lutte avec qui on se retrouvera demain dans les
batailles sociales. On a des revendications communes comme la
réduction du temps de travail ou l’arrêt des licenciements. Mais
comment on obtient ça, c’est hyper nébuleux avec Jean-Luc
Mélenchon. Il est dans la ligne PS de Mitterrand, dans la ligne
Jospin, il n’a jamais renié ça. Dans les années 80, il nous
expliquait qu’il fallait se taire, qu’il fallait voter pour le
PS. Là, il dit qu’il faut qu’on se taise et qu’il faut voter
pour lui. Pour nous, les élections ne changent pas la vie, il faut
vraiment des luttes sociales, il faut s’affronter au système
capitaliste. Et puis, on a un désaccord énorme sur l’aspect
«chauvin» : les drapeaux bleu-blanc-rouge, il n’y en aura pas
chez nous. On ne s’adresse pas aux Français et aux Françaises
mais à la population, donc aussi aux immigrés et aux étrangers. On
ne peut pas être avec Mélenchon dès le premier tour parce qu’on
a envie de parler de liberté de circulation, d’ouverture des
frontières, d’accueil de tous les migrants et de régularisation
de tous les sans-papiers.
En quoi vous distinguez-vous des propositions de Nathalie Arthaud ?
Il
y a des différences programmatiques, je ne vais pas les lister,
elles sont faciles à voir. Ce n’est pas un scoop, cela fait
quarante ans qu’il y a deux candidatures d’extrême gauche
presque à chaque fois et ça n’a pas gêné. Il y a
neuf politiciens professionnels sur onze candidats et
seulement deux salariés, et c’est nous qui devrions expliquer
pourquoi on est là ?
Dans votre programme, la préoccupation majeure est le travail. Comment envisagez-vous par exemple d’interdire les licenciements ?
Malheureusement,
c’est ce qui ressort, mais la question environnementale, celles de
l’antiracisme, des violences policières ou de l’égalité des
droits sont au même niveau que la question de l’emploi. Comment
interdire les licenciements ? De la même manière qu’aujourd’hui
les licenciements sont imposés par en haut, on veut imposer
l’inverse par en bas. Ça n’est pas plus compliqué que ça. On a
le droit d’avoir son propre emploi et il faut interdire d’enlever
les moyens de vivre à quelqu’un. Si ça paraît surprenant ou
anormal, c’est dire la violence de la société dans laquelle on
est.
On peut taxer vos propositions d’irréalistes ou utopiques…
Oui.
Mais il y a cent ans, les congés payés, c’était complètement
utopique. Le progrès social, ça n’est jamais venu d’en haut.
Les patrons n’ont jamais dit : «Mais
bien sûr que c’est aberrant que les enfants travaillent !» En
Guyane, il a dû y avoir des tas de gens qui pensaient que c’était
impossible et utopique. Mais à un moment donné, la colère éclate,
se généralise et la population dit : «Stop, il y en a marre. Le
chômage, pas d’école, pas assez de collèges, pas assez
d’hôpitaux, tout cela n’est pas normal.» On verra jusqu’où
ça peut aller mais quand la population se bat, il y a des
possibilités de déblocage.
Pourquoi est-ce qu’on ne vous entend pas sur les thématiques environnementales ?
Parce
qu’on n’est jamais questionnés là-dessus. Ce n’est pas parce
que je m’en fous ou que je n’y connais rien.
Notre-Dame-des-Landes, j’y suis allé plusieurs fois. Sivens, on a
milité. Bure [le site
d’enfouissement de déchets radioactifs prévu dans la Meuse,
ndlr], les camarades sont à
temps complet à l’occupation de la forêt. Je peux en parler des
heures mais on ne m’en parle pas : l’arrêt du nucléaire, des
gaz à effet de serre, des recherches sur le gaz de schiste, du
productivisme dans l’agriculture, des fongicides, des engrais, de
tout ce qui est destructeur, tout ce qui fait qu’on mange mal et
qu’on meurt de ce qu’on mange. L’environnement, c’est lié à
la question sociale. Ce n’est pas juste des arbres qui meurent, des
forêts qui disparaissent, des pelouses qui fanent. Il y a un monde
qui se détruit.
Vous avez voté pour Hollande en 2012. Savez-vous déjà ce que vous ferez pour le second tour ?
Non,
on ne sait pas. Les sondages nous annoncent Macron-Le Pen, mais les
choses bougent. Evidemment, si c’est Fillon-Le Pen, on ne vote pas,
si c’est Mélenchon-Le Pen on vote Mélenchon. Mais la
bataille contre l’extrême droite, ce n’est pas juste au second
tour de la présidentielle, il ne faudrait peut-être pas se
réveiller ce jour-là. Au NPA, on peut au moins revendiquer de mener
une bataille contre l’extrême droite et le racisme à longueur
d’année.
Allez-vous présenter des candidatures aux législatives ?
C’est
sûr. Mais on ne sera pas présents partout. Il y a des candidatures
du mouvement social qui se montent et on n’ira pas dans ces
endroits. Il y a des discussions à avoir avec des zadistes, avec
François Ruffin, mais pas avec Mélenchon.
Est-ce que vous avez eu des nouvelles de la plainte de Fillon ?
Non,
aucune nouvelle. Mais je ne pense pas en avoir, il a déjà un agenda
judiciaire assez chargé.