vendredi 14 avril 2017






Depuis le débat télé à onze, le candidat du NPA a obtenu une visibilité nouvelle. Audible surtout sur son programme social, il ne voit pas Jean-Luc Mélenchon comme un adversaire, mais regrette qu’il assume «une ligne PS de Mitterrand et Jospin».

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     Philippe Poutou : «Les élections ne changent pas la vie, il faut des luttes sociales»
Après cinq ans passés loin des caméras, Philippe Poutou est de retour. L’ouvrier de l’usine Ford de Blanquefort (Gironde) mène sa deuxième, et sans doute dernière, campagne pour l’élection présidentielle au nom du Nouveau Parti anticapitaliste (NPA). De sa candidature, on retiendra son inaltérable sourire malgré la condescendance de certains chroniqueurs politiques ou ses sorties contre Marine Le Pen - lui qui «n’a pas d’immunité ouvrière» - et François Fillon - «plus on fouille, plus on sent la corruption» - lors du débat du 4 avril. Ses soutiens, vers qui le candidat trotskiste s’était retourné en plein direct bousculant les codes de la télévision, ne le quittent pas. Dans la grande imprimerie montreuilloise où siège le parti révolutionnaire, on croise ses prédécesseurs, Olivier Besancenot et Alain Krivine, affairés parmi les tas d’affiches de campagne. Philippe Poutou, militant de longue date, syndicaliste CGT, ne compte pas arriver jusqu’à l’Elysée, mais souhaite faire entendre la «colère» populaire. Après les mobilisations contre la loi travail au printemps 2016, il regarde de près l’évolution du conflit social en Guyane, espérant y voir les prémices d’un rapport de force engagé contre les «riches» et les «puissants». Rencontre.


Vous avez obtenu 1,15 % des suffrages en 2012. Vous n’avez pas l’intention de devenir chef de l’Etat et voulez même supprimer la présidence de la République. Pourquoi êtes-vous candidat ?


Ce n’est pas parce qu’on n’est pas d’accord avec la façon dont fonctionne la société qu’on ne doit pas être là quand il y a un rendez-vous politique. Puisqu’il y a un échec total de toutes les idées et de toutes les politiques libérales, avec lesquelles nous sommes en profond désaccord, on estime légitime que d’autres idées soient défendues. Nous souhaitons que les gens fassent de la politique eux-mêmes, qu’ils aient confiance dans leur force collective. L’histoire le montre : sans bataille sociale, sans intervention de la population, sans rapport de force entre les camps sociaux, rien ne change vraiment. L’image, c’est «reprendre la rue», mais il faut aussi reprendre le contrôle sur l’économie donc sur des entreprises et les banques. Il n’y a aucune raison de subir et de se taire. Pourquoi la réduction du temps de travail et l’interdiction des licenciements seraient hors sujet ? C’est pas plus con que le reste. On a toutes les raisons d’être là et de défendre une autre façon de concevoir la société.

Vous avez marqué les esprits lors du débat à onze, le New York Times écrit même que vous avez «éclaté la bulle politique française». Est-ce que vous avez réussi à vous faire entendre ?

C’est fabuleux, même par rapport à la fin de la campagne 2012 où on avait pu se faire entendre un peu. J’ai vu qu’il y a de l’hostilité et de la haine dans des tweets. Mais dans la rue, heureusement, je m’en tire bien. Les gens viennent nous dire «merci» ou «bravo, il faut continuer». Le fait d’avoir balancé à la télé sur Fillon et Le Pen permet de s’apercevoir qu’il y a une vraie colère et une satisfaction de m’avoir entendu dire ce que personne ne pouvait ou n’a su dire.
Vos propositions sont-elles audibles ?


Oui, les gens ne retiennent pas que l’immunité ouvrière. Ils retiennent aussi la solidarité avec la Guyane, la fin des interventions militaires en Syrie ou l’interdiction des licenciements, une idée qui est largement acceptée parce qu’il y a quand même plus de 6 millions de gens dans la merde. Ce ne sont pas que des chiffres, quelque chose est en train de péter. Et ça va continuer. Cette colère n’arrive pas à sortir. Nos idées et notre message passent. On aimerait que cela se traduise en votes, car cela peut être important d’avoir un discours un peu radical anticapitaliste qui émerge de cette élection-là et d’entendre un autre message que «Le Pen au second tour».
Au-delà du Nouveau Parti anticapitaliste, qui sont vos électeurs potentiels ?


On milite avec des milieux plutôt abstentionnistes, du côté des contestataires zadistes, des libertaires, quelques-uns pourraient voter. Au-delà de ça, on sait qu’on peut décrocher quelques électeurs du Front national. Ce serait bien, parce qu’il y a pas mal de prolos, de chômeurs, de gens qui sont dans la merde qui vont voter Le Pen. Après, on voit des gens qui sont entièrement d’accord avec ce qu’on dit mais qui vont voter Mélenchon parce que c’est lui qui a la dynamique et qui pourrait peut-être être au second tour.
Vous dites que Mélenchon n’est pas votre adversaire. Sur quels points êtes-vous en désaccord ?


Ce n’est pas un adversaire parce que le milieu qui vote Mélenchon, ce sont des camarades de lutte avec qui on se retrouvera demain dans les batailles sociales. On a des revendications communes comme la réduction du temps de travail ou l’arrêt des licenciements. Mais comment on obtient ça, c’est hyper nébuleux avec Jean-Luc Mélenchon. Il est dans la ligne PS de Mitterrand, dans la ligne Jospin, il n’a jamais renié ça. Dans les années 80, il nous expliquait qu’il fallait se taire, qu’il fallait voter pour le PS. Là, il dit qu’il faut qu’on se taise et qu’il faut voter pour lui. Pour nous, les élections ne changent pas la vie, il faut vraiment des luttes sociales, il faut s’affronter au système capitaliste. Et puis, on a un désaccord énorme sur l’aspect «chauvin» : les drapeaux bleu-blanc-rouge, il n’y en aura pas chez nous. On ne s’adresse pas aux Français et aux Françaises mais à la population, donc aussi aux immigrés et aux étrangers. On ne peut pas être avec Mélenchon dès le premier tour parce qu’on a envie de parler de liberté de circulation, d’ouverture des frontières, d’accueil de tous les migrants et de régularisation de tous les sans-papiers.
En quoi vous distinguez-vous des propositions de Nathalie Arthaud ?


Il y a des différences programmatiques, je ne vais pas les lister, elles sont faciles à voir. Ce n’est pas un scoop, cela fait quarante ans qu’il y a deux candidatures d’extrême gauche presque à chaque fois et ça n’a pas gêné. Il y a neuf politiciens professionnels sur onze candidats et seulement deux salariés, et c’est nous qui devrions expliquer pourquoi on est là ?
Dans votre programme, la préoccupation majeure est le travail. Comment envisagez-vous par exemple d’interdire les licenciements ?


Malheureusement, c’est ce qui ressort, mais la question environnementale, celles de l’antiracisme, des violences policières ou de l’égalité des droits sont au même niveau que la question de l’emploi. Comment interdire les licenciements ? De la même manière qu’aujourd’hui les licenciements sont imposés par en haut, on veut imposer l’inverse par en bas. Ça n’est pas plus compliqué que ça. On a le droit d’avoir son propre emploi et il faut interdire d’enlever les moyens de vivre à quelqu’un. Si ça paraît surprenant ou anormal, c’est dire la violence de la société dans laquelle on est.
On peut taxer vos propositions d’irréalistes ou utopiques…


Oui. Mais il y a cent ans, les congés payés, c’était complètement utopique. Le progrès social, ça n’est jamais venu d’en haut. Les patrons n’ont jamais dit : «Mais bien sûr que c’est aberrant que les enfants travaillent !» En Guyane, il a dû y avoir des tas de gens qui pensaient que c’était impossible et utopique. Mais à un moment donné, la colère éclate, se généralise et la population dit : «Stop, il y en a marre. Le chômage, pas d’école, pas assez de collèges, pas assez d’hôpitaux, tout cela n’est pas normal.» On verra jusqu’où ça peut aller mais quand la population se bat, il y a des possibilités de déblocage.
Pourquoi est-ce qu’on ne vous entend pas sur les thématiques environnementales ?


Parce qu’on n’est jamais questionnés là-dessus. Ce n’est pas parce que je m’en fous ou que je n’y connais rien. Notre-Dame-des-Landes, j’y suis allé plusieurs fois. Sivens, on a milité. Bure [le site d’enfouissement de déchets radioactifs prévu dans la Meuse, ndlr], les camarades sont à temps complet à l’occupation de la forêt. Je peux en parler des heures mais on ne m’en parle pas : l’arrêt du nucléaire, des gaz à effet de serre, des recherches sur le gaz de schiste, du productivisme dans l’agriculture, des fongicides, des engrais, de tout ce qui est destructeur, tout ce qui fait qu’on mange mal et qu’on meurt de ce qu’on mange. L’environnement, c’est lié à la question sociale. Ce n’est pas juste des arbres qui meurent, des forêts qui disparaissent, des pelouses qui fanent. Il y a un monde qui se détruit.
Vous avez voté pour Hollande en 2012. Savez-vous déjà ce que vous ferez pour le second tour ?


Non, on ne sait pas. Les sondages nous annoncent Macron-Le Pen, mais les choses bougent. Evidemment, si c’est Fillon-Le Pen, on ne vote pas, si c’est Mélenchon-Le Pen on vote Mélenchon. Mais la bataille contre l’extrême droite, ce n’est pas juste au second tour de la présidentielle, il ne faudrait peut-être pas se réveiller ce jour-là. Au NPA, on peut au moins revendiquer de mener une bataille contre l’extrême droite et le racisme à longueur d’année.
Allez-vous présenter des candidatures aux législatives ?


C’est sûr. Mais on ne sera pas présents partout. Il y a des candidatures du mouvement social qui se montent et on n’ira pas dans ces endroits. Il y a des discussions à avoir avec des zadistes, avec François Ruffin, mais pas avec Mélenchon.
Est-ce que vous avez eu des nouvelles de la plainte de Fillon ?


Non, aucune nouvelle. Mais je ne pense pas en avoir, il a déjà un agenda judiciaire assez chargé.