En Ariège, un projet minier suscite l’opposition de la population
Une société australienne de
prospection minière s’intéresse de près à l’ancien gisement de tungstène
- contenant de l’amiante - du hameau ariégeois de Salau, dans les
Pyrénées. Si l’opposition des habitants au projet est manifeste,
certains hésitent devant les arguments économiques avancés par les
prospecteurs.
- Couflens (Ariège), reportage
Monsieur le maire se souvient très bien de la scène. Il était assis à son bureau quand la porte s’est ouverte. Un homme est entré. Michel Bonnemaison a dit qu’il venait rouvrir la mine. Il a exposé son projet de recherche et d’exploitation minières au cœur du village de Salau, dépendant de la commune de Couflens, en Ariège, dont Henri Richl est le maire. En quittant les lieux, le visiteur a déposé une bouteille de champagne sur le bureau. Personne ne l’a ouverte et, quelques semaines plus tard, Henri Richl l’a rendue à Michel Bonnemaison, le directeur de Variscan Mines, en présence du sous-préfet à l’occasion d’une visite sur sa commune. Le message est clair : ici, rien n’est à fêter et rien ne se fêtera.
Couflens, petite commune de l’Ariège, est un paradis environnemental. Des montagnes, plusieurs espèces d’animaux protégés, un hêtre de 475 ans concourent à en faire un site touristique proche de la nature. Mais, en s’élevant vers Salau, on découvre les stigmates de la mine de tungstène en activité jusqu’en 1986. Là où les stériles, les déchets miniers jugés non valorisables, ont été stockés, rien ne repousse. La terre gorgée de fer est orangée, chargée de toxiques tels que l’arsenic.
Henri Richl peut raconter des heures durant la vie de sa commune et celle de la mine. Lui-même fut mineur, dès son arrivée d’Algérie. Pendant 17 ans, il était responsable de l’entretien. M. le maire a gardé d’excellents souvenirs de cette époque : « Nous n’avons fermé que deux fois la mine à cause de la neige. J’aurais tout donné pour cette mine, avant que je ne comprenne. » Cent cinquante mineurs travaillaient ici, faisant vivre le village. Des grands logements leur avaient été affectés. La mine donnait 700 tonnes par jour, dont 350 de minerai. Le tungstène partait majoritairement en Russie pour alimenter l’industrie de l’armement (le tungstène est utilisé pour le blindage des chars, l’armement et certains outils).
Puis, certains mineurs sont tombés malades. Et sont morts. Deux spécialistes sont parvenus tant bien que mal à faire des analyses, malgré l’interdiction formelle du directeur de la mine, qui était aussi président de la commission de recours à l’amiable de la Sécurité sociale minière de Saint-Gaudens. Le couperet est tombé : le minerai est chargé d’amiante. De 150 à 200 fibres par litre d’air. La chute du cours du tungstène est invoquée pour fermer la mine en 1986. Quatorze cas cancers du poumon sont dénombrés, dont très peu ont été reconnus en maladie professionnelle. À cette époque, Henri Richl fait partie des manifestants qui refusent la fermeture de la mine. « On ne comprenait pas, on ne voyait pas le danger et surtout on avait peur pour notre village. »
Quand, en janvier, Variscan Mines a pointé le bout de son nez dans la petite mairie, le sang de l’ancien mineur n’a fait qu’un tour. « Il m’a dit qu’il allait faire une galerie de 2.500 mètres en plein dans le village pour pouvoir creuser la roche davantage et toucher le peu de tungstène qu’il reste dans nos sols », raconte le maire. Au printemps, un jeune étudiant en géologie débarque de l’université d’Orléans, son cursus payé par e-mines, une boite de conseils dont le directeur n’est autre que Michel Bonnemaison, le dirigeant de Variscan Mines. Ce jeune ramasse des cailloux sans autorisation ni de la mairie ni des propriétaires privés.
Henri Richl ne veut pas voir sa commune devenir un grand chantier qui détruirait une belle partie de son écosystème et toute son économie actuelle. Il a étudié le dossier. « En Autriche, il existe une mine de tungstène qui exploite 3.500 tonnes par jour, ce qui est énorme, et qui n’emploie que soixante salariés. À Salau, on parle de l’exploitation de 350 tonnes par jour, soit d’une mine dix fois moins importante. Combien de salariés travailleront ? Très peu ! Et combien mourront de l’amiante ? Non, ce projet n’a aucun intérêt économique pour notre territoire ! »
Henri Richl fouille dans le coffre-fort de la mairie et en sort un bout de roche. De l’amiante s’envole et se dépose sur le bureau. « Ça, dans tes poumons, ça reste à vie. » Malgré les pressions, le maire ne décolère pas. Il a reçu un courrier de l’université d’Orléans se plaignant du mauvais accueil fait à l’étudiant ; une pétition pour la mine a été lancée. « Les signataires ne comprennent rien. La réouverture de la mine ne permettra pas l’ouverture des commerces. Au contraire. Il faudra sortir les stériles. Par la route ? Alors des camions qui traverseront le village. Et puis, les eaux seront polluées par les produits de l’usine de traitement. Il faudra abattre la forêt. Quel touriste viendra passer ses vacances dans un lieu où l’on respire l’amiante ? Enfin, en France, plus personne ne connaît le métier de mineur, et on n’en forme même plus. On pourra toujours faire travailler les étrangers, mais pourquoi eux devraient le payer de leur vie ? »
La question des ressources mérite d’être posée. Que reste-t-il dans les sous-sols de Salau ? Selon les sondages de l’époque, plus grand-chose. Henri Richl est du genre méfiant : « Moi, je pense qu’ils cherchent d’autres minerais, tels que le cuivre, ou peut-être même du gaz de schiste. »
Sauf qu’en Ariège, et à Salau en particulier, Variscan Mines, ne fera sans doute pas sauter facilement le bouchon de champagne.
Monsieur le maire se souvient très bien de la scène. Il était assis à son bureau quand la porte s’est ouverte. Un homme est entré. Michel Bonnemaison a dit qu’il venait rouvrir la mine. Il a exposé son projet de recherche et d’exploitation minières au cœur du village de Salau, dépendant de la commune de Couflens, en Ariège, dont Henri Richl est le maire. En quittant les lieux, le visiteur a déposé une bouteille de champagne sur le bureau. Personne ne l’a ouverte et, quelques semaines plus tard, Henri Richl l’a rendue à Michel Bonnemaison, le directeur de Variscan Mines, en présence du sous-préfet à l’occasion d’une visite sur sa commune. Le message est clair : ici, rien n’est à fêter et rien ne se fêtera.
Couflens, petite commune de l’Ariège, est un paradis environnemental. Des montagnes, plusieurs espèces d’animaux protégés, un hêtre de 475 ans concourent à en faire un site touristique proche de la nature. Mais, en s’élevant vers Salau, on découvre les stigmates de la mine de tungstène en activité jusqu’en 1986. Là où les stériles, les déchets miniers jugés non valorisables, ont été stockés, rien ne repousse. La terre gorgée de fer est orangée, chargée de toxiques tels que l’arsenic.
Henri Richl peut raconter des heures durant la vie de sa commune et celle de la mine. Lui-même fut mineur, dès son arrivée d’Algérie. Pendant 17 ans, il était responsable de l’entretien. M. le maire a gardé d’excellents souvenirs de cette époque : « Nous n’avons fermé que deux fois la mine à cause de la neige. J’aurais tout donné pour cette mine, avant que je ne comprenne. » Cent cinquante mineurs travaillaient ici, faisant vivre le village. Des grands logements leur avaient été affectés. La mine donnait 700 tonnes par jour, dont 350 de minerai. Le tungstène partait majoritairement en Russie pour alimenter l’industrie de l’armement (le tungstène est utilisé pour le blindage des chars, l’armement et certains outils).
Puis, certains mineurs sont tombés malades. Et sont morts. Deux spécialistes sont parvenus tant bien que mal à faire des analyses, malgré l’interdiction formelle du directeur de la mine, qui était aussi président de la commission de recours à l’amiable de la Sécurité sociale minière de Saint-Gaudens. Le couperet est tombé : le minerai est chargé d’amiante. De 150 à 200 fibres par litre d’air. La chute du cours du tungstène est invoquée pour fermer la mine en 1986. Quatorze cas cancers du poumon sont dénombrés, dont très peu ont été reconnus en maladie professionnelle. À cette époque, Henri Richl fait partie des manifestants qui refusent la fermeture de la mine. « On ne comprenait pas, on ne voyait pas le danger et surtout on avait peur pour notre village. »
Coffre-fort de la mairie
Les mineurs ont alors eu six mois pour quitter leur logement. Certains sont partis dans d’autres mines. De deux cents habitants, Salau est passé à sept. On a fermé l’école et les commerces. « Ça a été dur à vivre, un vrai cauchemar. » Après 20 ans d’efforts pour rendre la commune attrayante, Salau compte aujourd’hui 40 habitants permanents, dont des actifs - artisans, commerçants, éleveurs).Quand, en janvier, Variscan Mines a pointé le bout de son nez dans la petite mairie, le sang de l’ancien mineur n’a fait qu’un tour. « Il m’a dit qu’il allait faire une galerie de 2.500 mètres en plein dans le village pour pouvoir creuser la roche davantage et toucher le peu de tungstène qu’il reste dans nos sols », raconte le maire. Au printemps, un jeune étudiant en géologie débarque de l’université d’Orléans, son cursus payé par e-mines, une boite de conseils dont le directeur n’est autre que Michel Bonnemaison, le dirigeant de Variscan Mines. Ce jeune ramasse des cailloux sans autorisation ni de la mairie ni des propriétaires privés.
Henri Richl ne veut pas voir sa commune devenir un grand chantier qui détruirait une belle partie de son écosystème et toute son économie actuelle. Il a étudié le dossier. « En Autriche, il existe une mine de tungstène qui exploite 3.500 tonnes par jour, ce qui est énorme, et qui n’emploie que soixante salariés. À Salau, on parle de l’exploitation de 350 tonnes par jour, soit d’une mine dix fois moins importante. Combien de salariés travailleront ? Très peu ! Et combien mourront de l’amiante ? Non, ce projet n’a aucun intérêt économique pour notre territoire ! »
Henri Richl fouille dans le coffre-fort de la mairie et en sort un bout de roche. De l’amiante s’envole et se dépose sur le bureau. « Ça, dans tes poumons, ça reste à vie. » Malgré les pressions, le maire ne décolère pas. Il a reçu un courrier de l’université d’Orléans se plaignant du mauvais accueil fait à l’étudiant ; une pétition pour la mine a été lancée. « Les signataires ne comprennent rien. La réouverture de la mine ne permettra pas l’ouverture des commerces. Au contraire. Il faudra sortir les stériles. Par la route ? Alors des camions qui traverseront le village. Et puis, les eaux seront polluées par les produits de l’usine de traitement. Il faudra abattre la forêt. Quel touriste viendra passer ses vacances dans un lieu où l’on respire l’amiante ? Enfin, en France, plus personne ne connaît le métier de mineur, et on n’en forme même plus. On pourra toujours faire travailler les étrangers, mais pourquoi eux devraient le payer de leur vie ? »
- Henri Richl, le maire de Couflens, et son morceau de minerai.
« Tout est bon à prendre »
Pourtant, à Couflens et à Seix, le petit village voisin, tout le monde s’interroge. « Et si la mine rouvrait ? » Le gérant d’une des auberges du village de Seix était la veille à une réunion publique organisée par M. Bonnemaison. « C’est sûr, il te vend du rêve. Il n’a pas parlé d’amiante, mais d’emplois et dans un endroit reculé comme le nôtre, tout est bon à prendre. Trois couverts de plus par jour, pour notre auberge, c’est important. Maintenant, c’est évident, si c’est pour polluer, tuer les gens, détruire notre environnement, on ne se laissera pas faire. Mais chez Variscan Mines, ils savent parler. On va attendre de voir. Peut-être les laissera-t-on faire leurs recherche. »La question des ressources mérite d’être posée. Que reste-t-il dans les sous-sols de Salau ? Selon les sondages de l’époque, plus grand-chose. Henri Richl est du genre méfiant : « Moi, je pense qu’ils cherchent d’autres minerais, tels que le cuivre, ou peut-être même du gaz de schiste. »
- Carte des réserves en tungstène de la mine de Salau.
Sauf qu’en Ariège, et à Salau en particulier, Variscan Mines, ne fera sans doute pas sauter facilement le bouchon de champagne.