Tribune de Gérard Delteil
Guerre d’Ukraine : notre solidarité doit aller à tous ceux qui refusent la guerre, en Ukraine comme en Russie
L’armée ukrainienne vient donc d’envahir une portion du territoire russe. Si, au-delà de la propagande, on ignore le déroulement de l’opération, celle-ci apparaît avant tout comme un coup de poker propagandiste destiné à enrayer la démoralisation et convaincre les sponsors de Zelensky que leurs armes sont bien employées et qu’il est encore possible de porter des coups à la Russie.
Zelensky s’est d’ailleurs publiquement réjoui que la population russe paie elle aussi le prix de la guerre. Il est peu probable que l’occupation de 1300 km2 sur 17 millions de km2 que compte la Russie représente une véritable monnaie d’échange susceptible de faire fléchir Poutine. À supposer que l’armée ukrainienne puisse s’y maintenir. Cette offensive n’a d’ailleurs pas mis fin à celle de l’armée russe dans le Donbass. Mais, quoi qu’il advienne de cette opération, elle représente une étape supplémentaire de l’escalade. Bien sûr, les protestations de Poutine, qui voudrait que le territoire russe soit sanctuarisé, sont bien hypocrites.
Dans une guerre, tous les coups sont permis et peu importe de quel côté des frontières se déroulent les combats. Les seules limites que se fixent les belligérants sont dictées par des calculs cyniques, et non par des considérations de principe, de droit international et encore moins de morale humaniste. Cette escalade a été marquée par l’abandon successif des limites que s’étaient officiellement fixées les États de l’Otan, avec la livraison d’armes de plus en plus puissantes et performantes, puis l’autorisation de les utiliser contre des objectifs situés en territoire russe. Comme si, rassurés de constater que Poutine n’appuyait pas sur le bouton nucléaire, ils s’engageaient toujours davantage dans ce conflit. Difficile d’imaginer que l’offensive en direction de Koursk ait pu être préparée et exécutée sans leur accord et leur assistance multiforme. Même s’il ne s’agit que d’un ultime coup d’éclat destiné à préparer des négociations dans des conditions plus avantageuses, cette opération inflige de terribles souffrances, non seulement aux combattants, mais aux populations civiles contraintes à l’évacuation par dizaines, centaines de milliers des deux côtés de la frontière. Celles-ci vont retrouver leurs lieux de vie dévastés à leur retour… si elles reviennent.
Ces souffrances réjouissent les nationalistes ukrainiens et les bellicistes occidentaux. Elles vont contribuer à creuser un fossé de haine. D’autant qu’il n’y a pas de raison que les soudards ukrainiens se comportent mieux que leurs homologues russes. Le succès, du moins initial, de cette offensive peut certes discréditer Poutine, incapable de protéger ses frontières, mais peut aussi, grâce à une propagande habile, favoriser l’union nationale autour du dictateur pour défendre « la patrie en danger ». Elle risque de faciliter l’instauration de mesures de coercition supplémentaires et l’extension d’une mobilisation jusqu’alors impopulaire.
Les travailleurs russes et ukrainiens auraient pourtant toutes les raisons de fraterniser contre ceux qui envoient leurs enfants à la boucherie et détruisent leurs villes. Jusqu’alors, l’hostilité à la guerre s’est surtout traduite, côté ukrainien, par une émigration de masse et toutes sortes de combines individuelles pour ne pas être envoyé dans les tranchées. Mais la lassitude et l’hostilité n’ont cessé de monter comme le reconnaissent les observateurs les plus favorables à Zelensky. Il est douteux qu’une opération spectaculaire mais sans portée stratégique puisse suffire à l’endiguer.
Côté russe, l’opposition à la boucherie s’est essentiellement traduite par des manifestations de mères et femmes de soldats allant de revendications modestes au pacifisme, et par des actions individuelles impitoyablement réprimées. C’est néanmoins sur cette lassitude et ces actes de résistance à la guerre que devraient s’appuyer des révolutionnaires, en Russie comme en Ukraine. Dans cette guerre entre l’impérialisme occidental et l’impérialisme russe par Ukrainiens interposés, il n’y a pas de bon camp à défendre pour les internationalistes que nous sommes. La victoire de l’un ou l’autre camp, à supposer qu’elle soit possible, que le conflit ne s’éternise pas ou ne soit pas gelé à la manière de la situation qui a succédé à la guerre de Corée, ne serait pas plus favorable aux travailleurs de l’État victorieux qu’à ceux de l’État vaincu.
Dans tous les cas de figure, le partage se ferait dans le dos et sur le dos des travailleurs qui seraient appelés à retrousser les manches et à supporter de nouvelles privations pour payer les frais de la guerre. La seule issue favorable serait l’extension de la révolte contre la guerre pour aboutir à une fraternisation contre les capitalistes ukrainiens et russes et leurs généraux, avec le soutien des travailleurs des autres pays.
Car la guerre d’Ukraine est tout sauf une guerre locale. Elle s’inscrit dans le cadre de l’exacerbation des rivalités impérialistes et d’une crise rampante du capitalisme. S’il existait, en Russie comme en Ukraine, des organisations marxistes révolutionnaires, même très minoritaires, c’est cet objectif de classe, internationaliste qu’elles devraient se fixer.
Avec bien sûr des modalités d’intervention qui dépendent des situations concrètes, difficiles, dans lesquelles elles se trouvent, et que nous ne pouvons pas avoir la prétention de déterminer à distance. Dans les États occidentaux engagés dans le conflit, malgré les limites de nos possibilités, une politique internationaliste consiste avant tout à dénoncer et combattre l’intervention de notre propre impérialisme et à apporter notre solidarité à ceux qui refusent la guerre.
Aucune concession, aucune ambiguïté face aux bellicistes ! Pas une arme, pas un euro pour leur guerre !
Gérard Delteil. 20 août 2024