vendredi 9 février 2024

coco

 

Sans papiers dans l’agriculture en Bretagne, le cas d’école du « coco paimpolais »

Le 10 mars 2017, on pouvait lire sur le blog du comité Nathalie Le Mel du NPA, à propos des ouvriers agricoles saisonniers  :

« L’accord est intervenu entre le syndicat CGT, la direction du travail et les représentants des producteurs sur le sulfureux dossier du ramassage du coco1 de Paimpol. Une nouvelle règle de fonctionnement qui se traduira par un bilan en décembre. En attendant fin 2017 et le bilan de la nouvelle campagne de ramassage des Cocos de Paimpol, la CGT de l’Union des syndicats régionaux agroalimentaire et forestiers, se félicite […] En accord avec les organisations de producteurs, il a donc été décidé “la mise en place d’une feuille d’heures permettant le décompte du temps de travail, avec l’impératif de réaffirmer l’interdiction de récolte le samedi et le dimanche.” À retenir aussi que le ramassage à la tâche est maintenu passant toutefois de 130 à 120 kilogrammes pour 7 heures de travail. La CGT évoque toutefois un “énorme changement, les patrons se voient dans l’obligation du respect de rémunérer les salariés au smic horaire et plus seulement au poids.” Le syndicat salue aussi “la mise en place de contrat de travail à temps plein et à temps partiel avec l’obligation du respect du délai de prévenance en cas de modification des horaires de travail.” […] »

Mais ce qui était un acquis en 2017 peut devenir un piège aujourd’hui ! Car, dès la signature de l’avenant de la convention collective « polyculture élevage », le patronat n’a eu de cesse de contourner la réglementation décidée en 2017, et le silence est à nouveau retombé sur les champs. Entre un patronat de combat type FDSEA et un salariat éclaté, morcelé, saisonnier et, par définition, précaire, la lutte est inégale.

En quelques années, très souvent écœurés par les bas salaires, les conditions de travail difficiles (sous la pluie, sous le soleil d’été, sans oublier la tricherie organisée autour de la pesée du soir), les salariés locaux ont déserté les champs de cocos, notamment les lycéens, étudiants ou chômeurs.

Conséquence prévisible, les patrons des exploitations agricoles ont fait appel à la main-d’œuvre étrangère. En Bretagne, on s’accorde à dire qu’elle représente désormais 80 % des travailleurs agricoles en maraîchage, ramassage des volailles ou dans les travaux les plus pénibles de l’agrobusiness.

Et le pire étant toujours à venir dans l’exploitation capitaliste, nous arrivons in fine à la situation faite aux sans-papiers sur notre secteur du Trégor Goelo, l’une des plus prospères zones légumières de Bretagne.

Il est difficile de briser l’omerta entretenue par les gros bras du syndicalisme paysan. Mais nous avons tout de même pu recueillir quelques exemples.2

L’embauche des salariés saisonniers agricoles se fait sous Tesa (Titre emploi service agricole simplifié). Créé pour simplifier les formalités liées à l’embauche de saisonniers agricoles, ce type de contrat est aujourd’hui fréquemment utilisé par les exploitants agricoles. C’est un contrat journalier où l’employeur s’exonère de toutes obligations légales vis-à-vis des salariés (absence de remise de contrat signé, de bulletins de paie, absence de remise de relevés horaires, etc.).

Le contournement de la réglementation des cocos paimpolais provient du fait que l’employeur ne relève que la totalité des quantités kilos ramassés par le salarié par mois sans relever les heures de travail effectif passées dans les champs. Ce poids est ensuite divisé par 120 kg (quotité fixée par la Convention collective pour une journée de travail de sept heures) afin d’obtenir le nombre d’heures de travail qui servira au calcul de la rémunération du salarié. Si ce chiffre est inférieur au nombre d’heures correspondant à 7 heures par jour et 35 heures par semaine, l’employeur fait signer un document par lequel le salarié reconnaît ne pas avoir travaillé 35 heures par semaine.

Un exemple :
Un salarié ramasse 2120 kilos de coco en 4 semaines. L’employeur va lui payer 18 jours de travail (2120/120 =18) soit 126 heures (18 jours de 7 heures). Or, si la réglementation était respectée, l’exploitant lui devrait 140 heures (20 jours de 7 heures). Il fera donc signer au salarié saisonnier un document par lequel ce dernier reconnaîtra ne pas avoir effectué ces 14 heures manquantes au cours de ces quatre semaines.

Les salariés étrangers parlent difficilement français et ne savent pas bien le lire et l’écrire. Et, s’ils se trouvent en situation irrégulière, comme c’est souvent le cas, ils ne sont pas en capacité de refuser de signer les documents présentés par leur employeur.

Comme la façon dont les employeurs calculent la paye fait que les étudiants français, les demandeurs d’emploi et aujourd’hui même les retraités refusent de travailler au ramassage de légumes, les maraîchers ont donc recours aux étrangers qui viennent d’Afrique (Mali, Niger, Sénégal, etc.) et qui arrivent sans titre de séjour en France via l’Espagne ou l’Italie.

« Tout le monde ferme les yeux. Il n’y a pas que les services de l’État, c’est les agriculteurs, c’est tout le monde. » C’est ainsi que, dans une récente émission de télévision à grande écoute, une fonctionnaire interrogée ne niait pas que les agriculteurs déclarent leurs salariés, mais sans avoir les moyens de vérifier leur identité. En général, les employeurs se contentent de déclarer : « On a été trompés », et se font passer comme à leur habitude pour des victimes !

La fonctionnaire citée précisait de plus que ces travailleurs étrangers « ne sont pas forcément sans titre de séjour, mais ils ont des “alias”… », c’est-à-dire qu’ils utilisent par exemple la carte d’identité d’un proche. D’après elle, beaucoup de producteurs ont intérêt à maintenir dans la précarité ces travailleurs étrangers, souvent sous-payés. « Comment voulez-vous revendiquer dans ces conditions-là ? », demande-t-elle. « Si on lui donne 500 euros au lieu des 1 200 euros dus [l’ouvrier de cueillette est censé percevoir l’équivalent du Smic, voire davantage, selon le poids des denrées récoltées], il est obligé d’accepter. À qui va-t-il aller se plaindre ? On va lui dire “Mais ce n’est même pas vous, monsieur, c’est votre alias !” C’est un parfait no man’s land. »

Avec à la clé un billet de retour au pays ? Et l’expulsion du logement, si c’est l’agriculteur qui le loge.

On voit bien dans cet exemple l’effet néfaste de la notion de métier en tension, beau prétexte pour « légaliser » l’exploitation éhontée du prolétariat agricole.

Thierry Perennes, comité Nathalie Le Mel (Côtes d’Armor)

 

 

1  Le coco est un haricot sec, bénéficiant d’une appellation protégée.

2  Les exemples de pressions exercées par le lobby agricole breton ne manquent pas, comme sur les journalistes Morgan Large et Inès Leraud et, plus récemment, les féroces attaques contre Nicolas Le Gendre auteur du livre : Silence dans les champs.