mercredi 12 juillet 2023

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sur le site internet BLAST


Bretagne : après Callac, l'ultradroite s'enracine

Longtemps terre de mission pour l'extrême droite, la Bretagne, région historiquement démocrate chrétienne parsemée de quelques fiefs rouges, est longtemps restée perméable aux sirènes xénophobes et racistes. Mais depuis le début de l'année, des groupes de nervis multiplient violences, provocations et intimidations.

Festival antifa attaqué à St-Brieuc le 1er juillet, agression à Rennes de colleurs d'affiches LFI le 5 juin et d'étudiants le 19 mars, tabassage d'un passant à Brest le 24 mars, sans parler de tags nazis dessinés à deux reprises sur les locaux de la CGT à Guingamp, la liste est longue. La situation est particulièrement tendue à Lorient, où une milice anti casseurs est sortie le 30 juin pour réprimer des émeutiers et les remettre à la police, après qu'en mars, des manifestants contre la réforme des retraites aient été menacés d'une arme à feu. Cette ultradroite décomplexée se manifeste surtout depuis l'affaire de Callac, cette petite ville où à force de harcèlement elle a fait reculer la municipalité qui a renoncé à son projet de demandeurs d'asile.

Revendication de l'attaque du festival antifa par le groupe rennais Korrigans squad
DR

En vingt ans de militantisme contre l'extrême droite, Sacha n'a jamais vu ça : « Il y a bien déjà eu des incidents, mais rien de comparable, là, ils étaient hyper organisés, une bonne vingtaine, accompagnés de guetteurs, un véritable commando et une opération minutieusement préparée ». Ce 1er juillet, à St-Brieuc, des militants organisent un festival « pour une Bretagne ouverte et solidaire » avec concerts, conférences-débats, buvette, et restaurant. « C'était très familial et paisible, insiste Sacha, il y avait des familles et les enfants jouaient tranquillement sur une aire de jeux. Un fumigène est même tombé au milieu d'eux, créant un début de panique ». La fête battait son plein et les concerts allaient démarrer, lorsque vers 19h30, déboule la vingtaine de gros bras, masqués, armés de matraques télescopiques, et équipés de protège-dents. Ils fondent sur la foule, balancent et distribuent les coups. Les participants au festival les mettent en fuite rapidement, mais il y aura trois blessés légers.

Le Korrigans squad était déjà présent aux manifestations de St-Brevin
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Avant qu'ils ne se masquent, certains agresseurs ont été repérés et photographiés par des militants antifas qui faisaient le guet en ville, la rumeur d'une attaque ayant couru les jours précédents. Au moins l'un d'entre eux a été reconnu : il est connu sous le pseudonyme de Blanche Neige et, selon les antifas, il a participé aux manifestations de St-Brévin (Loire atlantique) contre le projet municipal d'accueil de migrants. C'est dans cette localité que le maire, Yannick Morez, a démissionné le 10 mai, après que son domicile ait fait l'objet d'un incendie volontaire. Blanche Neige appartiendrait à un groupe de hooligans néo nazis de Rennes, la Korrigans squad, qui a récemment participé à une « journée de cohésion » à Besançon, avec le violent groupuscule parisien Division Martel, lié aux nervis « les Zouaves », dissous en janvier 2022 après l'agressions de membres de SOS racisme lors du meeting d'Eric Zemmour le 5 décembre 2021 à Villepinte. L'action a été revendiquée sur Telegram par Korrigans squad.

"Blanche Neige", le meneur de l'attaque du festival antifa à St-Brieuc.
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La Bretagne était pourtant jusqu'à récemment la région qui résistait le plus à la propagation des idées xénophobes et racistes. Breton lui-même, Jean-Marie Le Pen en parlait comme d'une « terre de mission ». Aux régionales de 2010, juste avant l'arrivée de Marine Le Pen à la tête du parti, le FN n'y récoltait que 6,18 % des voix. En 2015, les lepénistes enregistrent un record, frôlant les 19 %. En 2021, ils reculent à 14 %, contre 19 % au niveau national. Mais si ces résultats électoraux sont encore modestes, l'extrême droite compte localement des personnalités particulièrement gratinées. Comme Edwige Vinceleux, candidate Reconquête aux législatives à Guingamp (2,73 %) …

Callac, la mère des batailles

Au commencement était Callac. Cette petite commune paisible de 2200 habitants a été le théâtre d'une violente campagne de pressions de l'extrême droite contre l'installation d'un centre d'accueil de demandeurs d'asile (CADA), notamment menée par deux figures locales de Reconquête, le parti de Zemmour, Bernard Germain candidat aux dernières législatives dans la circonscription de Paimpol (3,28 % des voix) et Catherine Blein, une ex candidate du RN virée du parti en 2018, après qu'elle se soit réjouie de l'attentat contre la mosquée de Christchurch le 15 mars 2019. Après de multiples manifestations d'extrémistes pour la plupart extérieurs à la commune, et des menaces à l'encontre d'élus, le maire Jean-Yves Rolland annonce l'abandon du projet. L'extrême droite crie victoire.

« Depuis Callac, c'est clair que l'extrême droite s'est complètement décomplexée », juge Bertrand, syndicaliste SUD Éducation à Lorient. Qu'on en juge : le 19 mars, à Rennes, pourtant fief de gauche et d'extrême gauche, des étudiants décollent des affiches nationalistes signées d'un nouveau groupe, l'Oriflamme : « il était environ 23 heures, j'étais avec deux potes pas spécialement politisés mais qui n'aiment pas les fachos, et un groupe de 6 ou 7 mecs cagoulés nous sont tombés dessus et nous ont roués de coups », raconte Kevin étudiant. L'oriflamme est un groupuscule issu de l'Action française qui s'est radicalisé et autonomisé, apparu fin 2022. Son chef, Paul Carton, étudiant à Sciences po, a récemment été interpellé pour avoir perturbé une lecture de contes par des drag queens à des enfants, à St-Senoux, un village de 1800 habitants en Ille-et-Vilaine.

A Lorient, une milice anti casseurs

A Brest, le 24 mars, des militants d'extrême droite qui avaient perturbé un meeting de LFI ont agressé un passant qui leur reprochait leur attitude agressive. Confronté à des photos de militants locaux de l'Action française, l'homme nous affirme en avoir formellement reconnu deux. A Lannion, le 28, des individus cagoulés ont tenté de débloqué de force l'IUT de la ville, engagé dans le mouvement social sur les retraites. Mais c'est à Lorient que les événements les plus sérieux ont eu lieu. Le 28 mars, Bertrand boit tranquillement un verre avec d'autres syndicalistes après une manifestation contre la réforme des retraites, lorsqu'ils sont attaqués par trois personnes cagoulées, dont l'une brandira même une arme à feu !

Le 1er juillet, alors que des émeutes se déroulent en ville suite à la mort de Nahel à Nanterre, une milice « anti-casseurs », majoritairement cagoulée, vient prêter main forte à la police, allant jusqu'à frapper au moins un manifestant et en en remettant d'autres aux mains de la police. Des figures locales de Reconquête ont été vues près des « anti casseurs », et se sont du reste félicités de leur action. Suite à une rumeur désignant des militaires des fusiliers marins comme membre de cette milice, l'armée a ouvert une enquête. 

Des indépendantistes bretons : « Renvoyer les migrants en France »

En Bretagne sud, la situation semble plus calme, mais un nouveau groupe d'extrême droite, régionaliste breton celui-là, fait parler de lui depuis quelque temps : An Tour Tann (le Phare). Très présent sur les réseaux sociaux, il fustige les migrants et ses militants ont également participé aux manifestations de Callac et ST-Brevin. Fait étonnant, ce groupe qui prône l'autonomie, si ce n'est l'indépendance, de la Bretagne, n'hésite pas à nouer des alliances contre nature avec l'extrême droite française la plus jacobine. Ainsi, selon nos informations, son local à Vannes a également fait office de QG de campagne pour Reconquête aux dernières législatives. « il y a une résurgence de l'extrême droite indépendantiste bretonne qui, contre les migrants et les gauchistes, est prête à faire cause commune avec l'extrême droite française », remarque un antifa local. Ainsi, des activistes ont récemment relancé le Parti national breton (PNB), ces indépendantistes qui s'étaient engagés avec zèle dans la collaboration avec les nazis. Un site internet, l'Heure bretonne, a également repris le nom du journal du parti collaborationniste. Le PNB multiplie les affiches et les appels sur internet à « renvoyer les migrants en France », cet état colonial. Cela n'empêche pas les identitaires bretons de manifester à Callac avec les zemmouriens. Selon des militants antifas, des activistes d'An Tour Tann et du PNB ont participé à l'attaque du festival de St-Brieuc.

Encore embryonnaire, l'extrême droite identitaire bretonne a néanmoins montré par le passé sa capacité à séduire des jeunes en dehors des cercles traditionnels d'extrême droite, par le biais culturel notamment. Ainsi, en juin 2018, un festival de musique traditionnelle bretonne, les Hortensias, avait dû être annulé, après que les antifas du collectif de vigilance antifasciste 22 (CVA 22) eurent révélé le noyautage de l'organisation par des groupes d'extrême droite. La résurgence de cette extrême droite bretonnante et son alliance de circonstance avec les néo fascistes a de quoi inquiéter.

Crédits photo/illustration en haut de page :
Morgane Sabouret