samedi 14 mars 2020

 LE CMB ARKEA STADE FINAL DU CAPITALISME EN BRETAGNE...

EXPROPRIONS LES VOLEURS,SPOLIONS LES DIRIGEANTS DU CMB ARKEA, TOUT EST A NOUS RIEN N'EST A EUX.


La discrète pompe à fric des cadres dirigeants d’Arkéa

11 MARS 2020 PAR 
Les 171 cadres dirigeants de la banque bretonne ont perçu chacun une rémunération moyenne de 379 491 euros en 2018, via une mystérieuse société anonyme qui n’a pas grand-chose à voir avec le statut mutualiste ou coopératif.

C’est un mystère que, vu de loin, on a du mal à percer. Depuis des années, le président du conseil d’administration d’Arkéa, Jean-Pierre Denis, conduit la banque dans une aventure folle. Voulant faire scission du Crédit mutuel, il mène une guérilla sans fin, multipliant les manœuvres, allant même jusqu’à organiser des manifestations quasi obligatoires. Et il a beau savoir depuis des mois qu’il a perdu la bataille et que les gendarmes des banques – aussi bien la Banque de France que la Banque centrale européenne – ne le laisseront pas faire, il fait mine de ne pas comprendre et poursuit cette guerre de tranchée surréaliste.
Et pourtant, parmi les cadres dirigeants qui sont à la tête des principales activités de la banque, on n’entend guère de critiques. Pas plus parmi les responsables des caisses locales. Tous votent comme un seul homme depuis longtemps toutes les déclarations va-t-en-guerre de leur président. Tous font mine de croire que le projet d’indépendance est toujours d’actualité, alors qu’ils savent qu’il a définitivement échoué.
Tous savent aussi, par exemple, que Mediapart a eu raison de révéler que le président de la banque, Jean-Pierre Denis, et le directeur général (démissionnaire) Ronan Le Moal se sont partagé de 2010 à 2018 près de 8,2 millions d’euros de rémunérations variables, ce que la loi de 1947 portant statut de la coopération interdit ; mais personne n’ose émettre la moindre critique. Parce qu’ils ont peur d’être écartés, s’ils ne font pas allégeance ? C’est possible, même s’il est difficile de le vérifier.
Mais il y a en fait une autre raison, sans doute beaucoup plus profonde : c’est que ce système d’enrichissement spectaculaire en faveur de Jean-Pierre Denis – et de Ronan Le Moal jusqu’à sa démission récente –, ils en profitent eux aussi, mais par un autre canal. Car il existe une cagnotte discrète pour les 171 cadres dirigeants de la banque, dont on ne trouve pas mention dans les documents de référence annuels de la banque, qui revendique le statut mutualiste et coopératif. Pour trouver les vrais chiffres, il faut aller consulter les comptes d’une société anonyme, Arkéa SCD (pour Société des cadres de direction), qui se situe hors de l’unité économique et sociale du groupe. Et ces comptes donnent le tournis : on y découvre que pour 2018, les 171 cadres dirigeants de la banque se sont partagé très exactement 64 893 000 euros, soit 379 491 euros par personne. En réponse à nos questions, c'est Jean-Pierre Denis qui nous a fait savoir que le nombre des cadres dirigeants concernés était de 171 au 31 décembre 2019.
Cette mystérieuse structure a suscité beaucoup d’émoi parmi les salariés quand elle a été créée. Le montage commence le 10 novembre 2009 avec la création d’une société dénommée Euro Arkéa 1, laquelle change de dénomination le 22 juin 2011 pour devenir Arkéa SCD, avec pour directeur général Ronan Le Moal. Cette société est conçue pour assurer les rémunérations, fixes et variables, des 126 principaux dirigeants du groupe Arkéa : dirigeants du siège, responsables de pôles, dirigeants et adjoints des caisses locales, etc. Progressivement, le nombre des dirigeants concernés par cette structure grimpera de 126 à 171. Il semble même que le nombre ait un moment culminé jusqu'à 183.
Arkéa SCD est conçue comme une société de prestation de services. En clair, les cadres dirigeants sont rémunérés par Arkéa SCD, qui facture à Arkéa en prestation le travail qu’ils effectuent. C’est donc un montage passablement tordu pour sortir les cadres dirigeants du groupe des règles de rémunération qui s’appliquent aux salariés ordinaires et les exonérer des règles qui s’appliquent aux établissements coopératifs.
En 2011, quand la société Arkéa SCD est créée, cela se passe donc très mal au sein de l’entreprise, où l’on ne goûte guère cette structure. Alors que les salariés ont d’importantes revendications salariales, cela contribue même à déclencher une grève, dont on trouve trace sur un blog de l’époque d’une fédération de la CFDT : « Depuis le mardi 27 septembre 2011, un conflit social dur et fortement soutenu (50 à 75 % de grévistes et d’agences fermées) oppose les salariés du Crédit Mutuel Arkéa à leur direction. Ces salariés des Fédérations des Crédit Mutuel de Bretagne, Sud-Ouest et Massif Central portent deux types de revendications : 1) des revendications salariales en parallèle avec les augmentations de rémunérations plus que conséquentes que se sont octroyées leurs dirigeants et après deux années de Négociations Annuelles Obligatoires sur les Salaires (NAOS) totalement fermées ; 2) le retour d’un dialogue social constructif. »
Manifestation devant le siège d'Arkéa en septembre 2011.
Et le texte syndical ajoute : « La colère grandit chez les salariés ! La mobilisation prend de l’ampleur (1 500 salariés sur 6 500 réunis devant le Siège du Relecq-Kerhuon le mardi 4 octobre [voir photo ci-contre]) d’autant que la direction a transféré le 1er juin dernier dans une société anonyme “Arkéa SCD” les 126 cadres de direction du Groupe CM Arkéa au sein de laquelle ils bénéficieront d’une convention collective propre avec des avantages annexes largement supérieurs à ceux du reste des salariés de l’UES Arkade. Le risque est grand également que cette S.A. qui refacturera ses prestations aux différentes structures du Groupe Arkéa devienne une véritable “pompe à fric” en faveur de cadres de direction oublieux de leurs obligations morales de dirigeants d’un réseau mutualiste régional. Ils cherchent à étalonner leurs rémunérations sur celles de leurs alter ego de grands groupes bancaires. »
Selon un syndicaliste de l’époque, cette crainte que le système ne devienne une « pompe à fric » siphonnant le groupe Arkéa au profit des cadres dirigeants avait longuement été évoquée lors d’un comité central d’entreprise, dès le 30 juin 2011, soit quelques jours à peine après la création de cette étrange structure. Mais les années suivantes, la direction a tenu bon sur les privilèges qu’elle s’était auto-accordés et, par la suite, l’affaire est un peu tombée dans l’oubli, ce qui l’a bien arrangée. Elle a pu peaufiner les années suivantes ce système de rémunérations exorbitantes sans que quiconque ne vienne l’interpeller sur le sujet.
Le système déroge totalement aux règles du mutualisme et du mouvement coopératif, mais il a pris progressivement racine. Et comme le craignait la CFDT en 1971, c’est bel et bien une « pompe à fric » qui a été installée au cœur de la banque.

De quoi obéir au doigt et à l’œil !

Pour le vérifier, il suffit de consulter les derniers comptes disponibles d’Arkéa SCD, ceux pour l’année 2018, qui ont été déposés le 7 août 2019 au greffe du tribunal de commerce de Brest. Voici, ci-dessous, le compte de résultat d’Arkéa SCD :
Le montage transparaît des chiffres qui s’équilibrent : les prestations de services facturées par Arkéa SCD à Arkéa (72 millions d’euros en 2018) sont quasi identiques aux charges d’exploitation d’Arkéa SCD (72,2 millions d’euros), constituées essentiellement par les charges de personnel et les impôts.
Pour comprendre l’énormité des avantages dont bénéficient les 171 cadres dirigeants, il suffit d’examiner plus en détail les chiffres principaux de ce tableau, ainsi que quelques indications complémentaires figurant dans la suite du document. Une petite partie des recettes encaissées par Arkéa SCD sont absorbées par les impôts, à hauteur de 8,8 millions d’euros. Et tout le reste va dans la proche des bénéficiaires du système.
Les salaires et traitements pour les 171 dirigeants s’élèvent ainsi à 36 994 000 euros au total, ce qui correspond à 216 339 euros en moyenne par personne. Les charges sociales s’élèvent, elles, à 20 590 000 euros. Dans la suite du document, on apprend qu’une partie de ces charges sociales, soit 12,8 millions d’euros, sont des charges de retraite, relevant vraisemblablement des articles 83 et 39 du code général des impôts, qui définissent les avantages des contrats collectifs dits « à cotisations définies » (retraites-chapeau, etc).
Ce tableau évoque par ailleurs des dotations aux provisions. Si l’on suit la « note 4 » qui est alors évoquée, on découvre qu’il s’agit de la couverture d’engagements sociaux (recoupant sans doute à nouveau ces mêmes articles 83 et 39) pour un montant total en 2018 de 7 309 000 euros, soit en moyenne 42 742 euros par personne. Si l’on additionne ces trois lignes (salaires-traitements, charges sociales, couverture engagements sociaux), on arrive donc à un total de 64 893 000 euros pour 2018, soit bel et bien 379 491 euros par personne.
Comme les comptes ne donnent pas de précisions détaillées sur la ventilation de ces sommes, on en est réduit à faire des hypothèses. Mais il coule de source que ces chiffres moyens recouvrent de très fortes disparités. Jean-Pierre Denis et Ronan Le Moal, qui ont bénéficié en 2018 de rémunérations fixes et variables portant sur des montants considérables, ne figurent certes pas dans la liste de ces 171 cadres dirigeants d'Arkéa SCD. C'est le président de la banque qui nous l'a assuré en réponse à nos questions (voir notre onglet Prolonger associé à cet article) : « Jean-Pierre Denis et le précédent directeur général du groupe Arkéa, en leur qualité de dirigeants effectifs, sont mandataires sociaux. Ils ne sont pas salariés de la société Arkéa SCD », nous a-t-il fait savoirMais comme certains cadres dirigeants disposent de rémunérations qui ne sont pas spectaculaires, d'autres devraient se situer très au-dessus de la moyenne. À la vue des montants moyens, on comprend, quoiqu'il en soit, sans grande difficulté que Jean-Pierre Denis soit obéi au doigt et à l’œil, même s’il amène la banque dans une impasse.
La direction de la banque, estime, elle, que le système est parfaitement banal : « Pour rappel, nous a-t-elle indiqué, la rémunération des dirigeants effectifs, des cadres dirigeants et de direction du groupe Arkéa est strictement encadrée par les règles de droit qui s’appliquent aux banques. Elle est aussi rigoureusement contrôlée chaque année par les commissaires aux comptes ainsi que par les régulateurs bancaires dans le cadre de leurs missions de contrôle. »
Tous ces chiffres retiennent d’autant plus l’attention qu’ils vont naturellement relancer le débat sur le caractère vraisemblablement illégal des rémunérations servies au sein de la banque. Dans notre précédente enquête, nous avions révélé que le président de la banque, Jean-Pierre Denis, et le directeur général (démissionnaire) Ronan Le Moal se sont partagé de 2010 à 2018 près de 8,2 millions d’euros de rémunérations variables, ce que la loi du 10 septembre 1947 portant statut de la coopération interdit en admettant les rémunérations fixes mais en prohibant les rémunérations variables.
Même si elle est peu connue des sociétaires et moins encore des clients, la société Arkéa SCD joue donc un rôle central dans le fonctionnement de la banque. Commentaire d’un bon connaisseur des arcanes de cette banque décidément hors norme : « Elle représente pour certains le Graal bancaire, parfois la reconnaissance de la compétence, souvent la récompense de la fidélité au patron, la plupart du temps le conformisme absolu, l’absence de sens critique, le psittacisme de complaisance. C’est une caste ! Il y a peu de cadres qui ont réussi à éviter d’y rentrer. Il faut dire qu’outre les rémunérations rondelettes, le syndicat unique gère aussi la convention collective – du sur mesure pour les dirigeants – et les œuvres sociales de ces privilégiés (aucune information ne circule dans l’entreprise sur les prestations du comité d’entreprise mais il se susurre qu’elles ne manquent pas d’avantages…). »
Connait-on une autre société en France, dont les cadres dirigeants ne sont pas payés par la société elle-même mais par une filiale, laquelle filiale se fait rémunérer par sa maison-mère en prestations de services ? Nous avons cherché à vérifier s'il existait d'autres exemples, mais nous n'en avons pas trouvés.
Quoi qu’il en soit, le recours à Arkéa SCD pour assurer les rémunérations fixes et variables des cadres dirigeants de la banque vient donc confirmer que l’intention était sans doute bel et bien, dès le début, d’essayer de contourner la loi. Sachant que la statut de la coopération interdit le versement de rémunérations variables, sans doute la direction de la banque a-t-elle trouvé habile que ces rémunérations variables soient payés non par la banque elle-même, mais par une filiale qui ne relève pas de ce statut de la coopération mais qui est une société anonyme. Mais, selon les avis juridiques que nous avons recueillis, l'habileté ne gomme pas l'irrégularité. Elle la rend même encore plus spectaculaire puisque cette nouvelle affaire Arkéa SCD apporte un fait nouveau d’une grande importance : ce ne sont pas seulement les deux principaux dirigeants de la banque qui ont perçu des rémunérations variables prohibées par la loi, mais sans doute aussi ces 171 autres cadres dirigeants, auxquels ont été versés des rémunérations variables.
C’est dire qu’avec la banque Arkéa, on est décidément bien loin des rivages mutualistes et coopératifs…