mardi 8 juillet 2025

SNCF

 

À propos d’une campagne de la CGT-cheminots…

La fédération CGT des cheminots a lancé une campagne pour la création d’un « nouveau statut du travail cheminot » (NSTC). À l’heure où le réseau ferroviaire est saucissonné en filiales, permettant autant d’attaques contre les salariés du secteur, la revendication d’un statut commun à l’ensemble des travailleurs du rail peut avoir du sens. Mais reste à voir comment l’imposer…

Aux origines du statut cheminot

Depuis 2020, la SNCF a cessé de recruter ses salariés au statut cheminot. Ce dernier remontait à l’année 1920. Il avait été imposé par d’importants mouvements de grève, au début du XXe siècle.

À l’époque, l’exploitation du réseau ferroviaire était divisée en six entreprises privées. Ainsi, les travailleurs du rail ne partageaient pas les mêmes rémunérations, les mêmes droits, etc. Mais ils avaient pour point commun d’exercer un métier particulièrement pénible. L’automatisation étant encore loin, la plupart des tâches étaient très physiques. Quant aux normes de sécurité, elles étaient presque absentes. Les cheminots se qualifiaient eux-mêmes de « chair à tampons », tant les accidents du travail étaient courants – notamment ceux au cours desquels un cheminot se retrouvait écrasé entre les pare-chocs des wagons, aussi appelés tampons…

D’ailleurs, avant même la création du statut unique des cheminots, l’État leur avait accordé le droit de partir à la retraite plus tôt que les autres salariés pour tenter de rendre plus acceptable l’exploitation, et espérer recruter dans un secteur qui demandait beaucoup de bras.

En 1920, un cheminot est mis à pied pour ne pas s’être présenté au travail. Il avait demandé un congé pour assister à une réunion syndicale, qui lui avait été refusé. Ce qui est vu comme une discrimination syndicale donne le signal de départ d’une puissante grève. Celle-ci s’étend à l’ensemble des travailleurs du rail, toutes entreprises confondues. En se battant ensemble, les cheminots comprennent bien qu’ils ont des intérêts communs face à leurs patrons. La grève est durement réprimée, mais aboutit au bout d’environ deux mois à la création du statut cheminot, qui sera commun à l’ensemble des travailleurs du rail.

Retour vers le passé

Aujourd’hui, la politique de la direction de la SNCF apparaît comme un véritable retour au début du siècle dernier. Les salariés dépendant directement du groupe SNCF sont de moins en moins nombreux. Dans de plus en plus de secteurs de l’entreprise, la SNCF crée des filiales dans lesquelles elle replace ses agents. Ces filiales, bien qu’elles soient à 100 % exploitées par la SNCF, sont régies par le droit privé. Cette politique n’en est à qu’à ses débuts, mais déjà les travailleurs subissent des attaques sur leurs rémunérations, leurs congés, leurs conditions de travail, leurs emplois, leurs droits syndicaux…

Et tout ça sans parler du recours à la sous-traitance, qui est en hausse permanente – causant d’ailleurs de plus en plus de drames tant l’impasse est faite sur la sécurité ferroviaire au nom des profits. Au début de l’année, un technicien de l’entreprise TSO s’est électrocuté alors qu’il travaillait sur des caténaires.

La CGT ressuscite le statut cheminot en paroles… et en actes ?

C’est dans ce contexte que la fédération CGT des cheminots a lancé une campagne en faveur de la création d’un nouveau statut du travail cheminot. Mais ce que met la direction de la CGT derrière cette idée a de quoi laisser perplexe. Elle accompagne ce NSTC d’un projet de « développement de service public ferroviaire », qui consiste en une longue liste de propositions afin de relancer le transport public par rail. Comme souvent, les directions syndicales planchent sur des projets industriels qu’elles jugent bénéfiques pour la population, tout en s’assurant qu’ils restent rentables pour le patronat. Elles espèrent convaincre de leur bon sens les dirigeants en haut lieu. Comme si la direction de la SNCF ou l’État qui en est actionnaire allaient subitement penser à l’intérêt général ! Ce sont eux qui attaquent les conditions de travail et mettent en place la désorganisation du réseau !

Alors que les autres syndicats cheminots accompagnent la direction de la SNCF dans ses projets de filialisation et jouent la carte de la lutte métier par métier de façon ouverte, la CGT espère se démarquer avec ce projet unificateur. Mais cela ne l’a pas empêchée, au mois de mai dernier, d’appeler les conducteurs et les contrôleurs séparément à la grève. Et quelques mois plus tôt, elle appelait à la grève les conducteurs seulement, sur la revendication de l’augmentation d’une prime qui leur est spécifique ! Statut unique mais lutte chacun dans son coin ?

Les faits sont têtus, et ils montrent que la CGT n’utilise pas son NSTC pour organiser le maximum de cheminots sur la base de revendications unificatrices. Dès qu’elle a l’occasion d’organiser une bagarre à l’échelle nationale, elle le fait sur des bases corporatistes ou localistes.

Pour que ce NSTC prenne un tout autre corps que celui d’un vague projet lointain, il faudrait des luttes d’ensemble dans lesquelles un grand nombre de travailleurs du rail prendrait conscience de leur force collective et de leurs intérêts communs. Alors, le projet de NSTC apparaîtrait comme autre chose qu’un hochet agité par un syndicat cherchant à se montrer plus revendicatif que ses concurrents… Et dans de tels moments, peut-être même que la revendication d’un nouveau statut commun serait vue par les grévistes comme très limitée !

Difficile de savoir le chemin que fera cette revendication. Peut-être séduira-t-elle des travailleurs du rail refusant de se laisser opposer à leurs collègues. Et tant mieux si cette campagne peut participer à faire prendre conscience à des cheminots qu’ils partagent tous les mêmes intérêts. Mais une chose est sûre : contre les patrons du rail, on ne pourra pas faire l’impasse sur des luttes mettant en mouvement un maximum de travailleurs, de tous métiers et de toutes filiales !

Stanislas Erren