mercredi 14 juillet 2021

HUGO

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La grève oubliée des étudiants de médecine de Rennes

En 1973, trois mois durant, les étudiants de la faculté de médecine de Rennes ont mené une grève historique, mêlant des revendications liées à leur cursus avec une dimension régionale inédite.

5 avril 1973. Manifestation à Paris. Parmi les habituels drapeaux Gwenn ha du, une banderole attire le regard : « Médecine Rennes. 10e semaine de grève ». Ils sont 5 000 étudiants et étudiantes à défiler dans les rues parisiennes ce jour-là. À leurs côtés : Yves Le Foll (PSU), député des Côtes-d’Armor et Louis Le Pensec (PS), député du Finistère. Cette manifestation d’ampleur est le point d’orgue d’un mouvement qui a débuté depuis de longues semaines.

À la veille de leurs examens du premier semestre, les étudiants en médecine bretons ont, en effet, déclaré une grève illimitée. Le 31 janvier au soir, à la surprise générale, 1 500 grévistes sortent en blouses blanches dans les rues de Rennes pour manifester.

Sur leurs pancartes, des slogans comme « La médecine au service de tous » ou « Des médecins oui, des assassins, non ». « Ils exprimaient par là même leur aspiration à une formation pratique complète qui leur permettrait de devenir des médecins compétents, ayant conscience de leur responsabilité sociale », écrit le jeune historien Hugo Melchior, qui a consacré un ouvrage à cette grève oubliée (*).

L’étincelle qui a mis le feu aux poudres ? Le manque de places en stages et la remise en cause du numerus clausus, ce nombre d’étudiants admis en deuxième année, fixé chaque année par le ministère de la Santé. Au-delà de leurs revendications propres à leur cursus, les grévistes rallient aussi des combats de leur temps, comme le droit à l’Intervention Volontaire de Grossesse, alors illégale. Les jeunes militants veulent aussi « changer la vie » avec une médecine davantage au service du peuple.

Manque de médecins en Bretagne

Dans cette période de forte tension, les revendications estudiantines rejoignent celles des chefs de clinique. Eux-aussi, ils dénoncent le manque d’effectifs médicaux et l’insuffisance dramatique du nombre de lits hospitaliers dans la région.

La situation sanitaire en Bretagne est, en effet, préoccupante : en 1971, le nombre de praticiens pour 100 000 habitants est de 96,1 pour la Bretagne contre 127,8 pour la région parisienne. Sous-dotée, la région affiche une mauvaise santé : c’est la seconde région de France avec le plus fort taux de mortalité générale. Les maladies dérivées de l’alcoolisme, les affections cardio-vasculaires, et les décès par mort violente sont légion. Le manque de places dans les hôpitaux est criant. « Il manque 1 000 lits à Rennes ! », dénoncent les étudiants.

Cette situation sanitaire préoccupe aussi les notables bretons et des élus du Celib, le Comité d’Études et de Liaisons des Intérêts Bretons. Ils dénoncent « la désinvolture de ceux qui n’auraient pas tenu leurs engagements, autant pour la création de postes d’enseignants-chercheurs en faculté de médecine qu’en matière de construction de nouvelles structures hospitalières ».

Plus largement, cette lutte « s’inscrit dans la très forte conflictualité des années 1968, en particulier dans les mouvements sociaux post-Mai 1968 qui secouent le pays, à l’apogée du Pompidolisme et des Trente Glorieuses », écrit l’historien Christian Bougeard. Au-delà des bancs de la faculté de médecine, la révolte gronde aussi dans la jeunesse étudiante : la création du Deug et le vote de la loi Debré, qui supprime les sursis pour le service militaire, enflamment les esprits.

De multiples actions

La grève des étudiants en médecine de Rennes va durer 94 jours. Les actions coup de poing se multiplient : ils séquestrent même les douze membres du conseil de l’unité d’enseignement et de recherche la nuit du 14 février.

Des étudiants partent aussi sur les routes populariser, un peu partout en Bretagne (lire ci-dessous) leur mouvement, ce qui finit par faire bouger les lignes. Le lendemain de la manifestation parisienne, le quotidien régional Ouest-France titre : « L’hôpital sud de Rennes n’est plus une virtualité. Un pas décisif vient d’être franchi vers sa construction puisque l’État a décidé de subventionner à raison de 40 % l’achat des terrains nécessaires ».

Le mercredi 2 mai, les étudiants votent la fin de la grève. Ils obtiennent, lors d’une réunion de concertation tripartite, la révision du numerus clausus de 217 à 250 et l’extension des stages dits externés aux hôpitaux périphériques.

La grève des étudiants en médecine est en grande partie portée par des militants d’extrême-gauche, très présents dans les universités dans cette période post-68 dont Patrick Wiener, dit « Angela » – en référence à la militante noire féministe Angela Davis – arrivé de Lorient pour suivre ses études à Rennes. Parmi leurs membres, à qui Hugo Melchior donne la parole, un autre fait peut surprendre : plusieurs viennent de milieux ruraux et modestes. C’est le cas de l’un des leaders, Raymond Le Golvan, né dans une famille de meuniers-paysans en 1948. Quand la grève éclate, il est en sixième année de médecine et milite à la Ligue Communiste. Un  engagement parfois difficile : « Mon engagement militant à l’extrême-gauche cachera un immense désarroi personnel […] et un écartèlement sociologique, linguistique, géographique », confie-t-il. La jeune Dominique Halbout, militante marxiste-léniniste, est aussi issue du milieu rural. Durant la grève, elle part avec d’autres camarades populariser leur mouvement en centre-Bretagne. Ses parents, boulangers à Langoëlan, en hébergent d’ailleurs certains. L’un des principaux animateurs de la contestation Jean-Pierre Bail, lui, vient d’une famille de petits paysans de la région de Paimpol. Premier de sa commune à aller en sixième, il décide de devenir médecin après la grève du Joint français à Saint-Brieuc en 1972. Il est en première année lorsque la grève éclate. Il connaît une politisation fulgurante à la faveur de cette mobilisation.

*« Blouses blanches et Gwenn ha du. La grève oubliée des étudiants en médecine de Rennes », Hugo Melchior, autoédition, 2020.
Contact : hugo.melchior@yahoo.fr