dimanche 21 janvier 2018

CHASTAING 1

                            Vers un nouveau mai 1968 ? Partie 1

France. Ile de France. Paris. Salle de la mutualité. Un metting de la JCR, prevu avant les événement est élargie a tout le mouvement étudiant. A la tribune de gauche a droite Ernest MANDEL, Daniel COHN-BENDIT, Henri WEBER, Daniel BENSAID, XX; XX, Alain KRIVINE

Jacques Chastaing, à l’aide d’un recensement unique des luttes, fait une analyse détaillée du potentiel d’explosion sociale et politique. Autrement dit, voici un mode d’emploi de l’année 2018 à l’usage de ceux qui veulent faire un nouveau mai 1968;
La victoire de Notre Dame Des Landes en témoigne, on ne sent pas comme d’autres années, le même climat de morosité chez beaucoup de militants syndicaux et politiques malgré la victoire de Macron et bien qu’il ait pu imposer ses ordonnances sans grande opposition. Les luttes sont aussi nombreuses après qu’avant.
Beaucoup même imaginent  une année 2018 qui fêterait dignement le 50ème anniversaire de 1968. Cette bizarrerie psychologique peut paraître peu importante. Cependant, c’est la seconde fois en deux ans et cela mérite de s’y arrêter.
En effet après la défaite contre la loi El Khomry, le sentiment qui l’emportait après la manifestation du 14 septembre 2016 était plus celui d’un combat qui n’avait pas été mené jusqu’au bout que celui d’une déroute. Et les luttes ont continué de plus belle. Or c’est à partir de ce sentiment et de cette réalité que s’est construite d’une part la mobilisation contre la répression qui frappait les Goodyear aboutissant au rassemblement de près de 10 000 salariés et militants en octobre et d’autre part, dans la foulée, la construction du Front Social regroupant de nombreuses structures syndicales, associatives ou fronts de lutte et des milliers de militants sur une base lutte de classe exprimant ainsi l’idée qu’ils n’ont pas renoncé et veulent construire la convergences des luttes : bref, un pôle lutte de classe non négligeable regroupant autour d’un noyau ouvrier et syndical de multiples variétés de combats contre l’exploitation et les oppressions, ce qui est inédit en France depuis longtemps.
Essayons de dénouer l’écheveau de causes sociales et politiques comme  les dynamiques en œuvre que tout cela recouvre.
Ce ne sont pas les salariés, les militants, les fronts de luttes… qui ont perdu mais les directions syndicales
Avec la défaite des ordonnances, le succès de Macron sans véritable combat aurait pu emporter pour longtemps le climat social. D’autant plus que la défaite est due à un effondrement syndical et pas à un combat perdu. La collaboration ouverte de la majorité des syndicats à l’écriture des ordonnances en a été responsable pour une part et d’autre part le fait que la CGT et Sud qui s’opposaient n’avaient aucune stratégie,  ne proposaient que des journées saute moutons dont personne ne savait bien à quoi elles servaient et dont la majorité des salariés avait très bien perçu qu’elles ne servaient à rien.
Eh bien non !  Macron a gagné, mais cette victoire a été masquée par cette drôle d’ambiance où un  nombre suffisamment important d’entre nous ne renonce pas.
Cela pourrait produire un effet Marie-Antoinette ; Macron surestime les défaites des militants et des salariés en les confondant au renoncement des directions syndicales et politiques.  Ce qui l’autorise à parler des « riens », des « fainéants »… et à être entraîné dans une spirale sans fin où ceux d’en haut étalent, revendiquent une société de classe, une société bloquée pour ceux d’en bas… jusqu’à la provocation de trop.
Le contenu de ses ordonnances représente certes un recul véritablement  historique pour le mouvement social aux conséquences extrêmement graves, mais elles ne sont pas encore appliquées. Pour que le recul  soit vraiment conséquent, il faudrait que la victoire de Macron agisse comme un coup de massue brisant la classe ouvrière. Or ce n’est pas le cas.
Bien sûr, il y a toujours des militants qui se désespèrent mais qui n’expriment là que l’aspect le plus superficiel de la situation. Ce qui est important pour l’avenir c’est que cette démoralisation pèse moins qu’hier et tire moins l’ensemble en arrière.
Pour justifier leur « démoralisation », organisations et militants s’appuient sur le « sentiment » qu’il y a peu de luttes.
Les défenseurs de l’ordre et ceux qui méprisent les travailleurs, qui les croient incapables de se soulever, développent a satiété et au quotidien cette argumentation  et cela d’autant plus qu’ils les craignent. Ils argumentent  statistiquement, comparent le nombre de luttes au nombre total de salariés, d’entreprises, bureaux et services et en concluent que ce ne sont que des minorités qui se battent alors que la majorité ne bouge pas, sous entendu ne soutient pas ceux qui luttent.
En 1968, à part quelques journées, il n’y avait qu’une petite minorité à descendre dans la rue. Le problème est bien ailleurs.
J’ai pu mesurer 1500 hôpitaux ou établissements de santé où il y a eu une grève, un conflit en 2017 et environ une cinquantaine en lutte en même temps chaque jour. Ceux qui n’y voient que des minorités s’en convainquent en les mesurant à l’aune de l’ensemble des établissements de santé.
Et chacun peut vérifier que ce n’est pas tous les jours qu’il y a une grève dans son entreprise, son service, son bureau… Les bureaucraties, petites ou grandes, s’appuient sur ce fait depuis longtemps pour justifier leurs défaites et la permanence de leurs appareils : « vous voyez bien autour de vous que les travailleurs ne se battent pas ».
Inversement, on peut avoir  « conscience » – et pas seulement le « sentiment » – que ces luttes sont nombreuses. Ceux qui essaient de construire pas à pas un mouvement d’ensemble savent qu’ils peuvent s’appuyer sur ces luttes et les militants qui les animent car elles ont exactement les mêmes causes, les mêmes revendications et  révèlent donc un courant et un combat commun.
Il n’y a évidemment pas de baguette magique pour rassembler ces combats épars mais le potentiel est là.
Pour revenir aux raisons de la défaite sur les ordonnances, ce n’était pas l’absence de conscience qui a fait défaut mais paradoxalement son excès.
Contrairement à ce que disent les directions syndicales, tout le monde a parfaitement compris ce que sont les ordonnances. Oh, bien sûr pas dans les détails  mais le sens le plus fort, oui. Tellement bien compris d’ailleurs que les travailleurs ont compris dans le même mouvement que les directions syndicales et politiques – de la CGT à FI – ne voulaient pas réellement se battre pour s’y opposer… et que que sans état-major, sans organisation, sans plan de bataille et sans volonté de lutte on ne pouvait pas gagner. Car si on crie que les barbares sont aux portes de la ville mais que les états-majors n’organisent aucun plan de bataille et de mobilisation pour y faire face tout en continuant à festoyer chez l’adversaire, il ne faut pas être bien malin pour comprendre de quoi il retourne… et que des batailles en rase campagne, sans préparation ni plans de bataille sont perdues d’avance.
Il n’y a ainsi pas eu de défaite sans combat, car le combat central n’était pas là où l’avaient placé les généraux. Comprenant très bien les rapports de classe généraux, les salariés ne pouvaient pas choisir leur pseudo convergence.
Par contre, les salariés et les militants, seuls, abandonnés à eux-mêmes, sans organisation ni dirigeants ont fait le maximum dans cette situation : une sorte de « guérilla » des luttes sociales. Par « guerilla », il ne faut bien sûr pas comprendre ici le sens militaire mais seulement qu’il existe une unité dans la dispersion. Et donc que ce qui peut regrouper, n’est pas tant la jonction volontariste de « francs-tireurs », que la conscience que tel ou tel événement peut « précipiter » cette convergence.
Ainsi comprendre pourquoi les luttes sont « émiettées », ce n’est pas l’attribuer qu’au manque de conscience des travailleurs mais aussi à un sentiment de classe juste. Saisir ce sens de la « guérilla » sociale que mènent les salariés, c’est comprendre que ces luttes ont quelque chose de commun malgré leur émiettement et entendre l’émergence du Front Social comme ce besoin d’unification.

Cette situation fait émerger d’autres secteurs, d’autres catégories parmi les plus exploités
Le nombre de luttes, de grèves ne cessant pas, l’effondrement des directions syndicales  a conduit  à un nombre d’initiatives, de créations et d’innovations militantes en tous genres littéralement inouï.

La fin des faibles espoirs des militants des générations les plus anciennes
Si l’effondrement syndical et politique a été particulièrement visible cette année, cela fait déjà longtemps que les salariés ne font plus guère confiance à leurs dirigeants même s’ils estiment leurs militants et qu’ils cherchent d’autres chemins de lutte. Cela peut se mesurer à la désertion  des journées  nationales d’action syndicales dont plus personne ne croit depuis longtemps qu’elles peuvent servir à gagner voire même seulement à construire un rapport de force.
En ce sens, les salariés, encore plus que les militants, n’ont pas été étonnés de ce qui s’est passé.
Déjà en avril, mai et juin 2017, il était clair que la CGT ne voulait pas mener la bataille, d’autant qu’elle n’avait pas utilisé le succès du 15 juin 2016 pour le prolonger contre la loi Khomri avant  d’abandonner le combat sans raison ni justification le 14 septembre 2016.
Alors bien sûr, sans de grandes illusions, mais avec le secret espoir plus ou moins assuré – parce qu’il n’y a pas autre chose – que peut-être, quand même, on sait jamais… la direction de la CGT pouvait se ressaisir, les militants de base se sont donné à fond pour réussir la journée d’action du 12 septembre. Ils l’ont surtout fait pour ne pas livrer leur organisation à l’ennemi sans avoir tenté jusqu’au bout de se battre.
La suite n’a été qu’un délitement où les militants se sont convaincus peu à peu eux aussi que leurs directions ne voulaient pas mener ce combat. Mais après la déception, beaucoup ne sont pas découragés en se donnant aux nombreuses luttes locales. Bien sûr cela était varié suivant les milieux professionnels, les régions, les âges, etc…
Ce fond de l’air contestataire s’était déjà entendu dans « Nuit debout » en « libérant la parole ». Ce refus de perdre son humanité existe depuis un moment dans les ZAD et bien d’autres combats autour des migrants avec Droits Devant et d’autres groupes, dans les citoyens de la Roya et tous ceux qui les soutiennent ou qui mènent ce même genre de luttes, dans les « vols de chaise » par Attac pour dénoncer l’évasion fiscale, dans le DAL et sa défense du logement… qui ont tous pris une dimension plus importante parce que les canaux d’expression traditionnels pour les uns ou les autres ont disparu ;  le parti Europe Ecologie Les Verts est totalement  institutionnalisé, le PS s’est effondré et le PCF n’est pas bien vaillant.
Ce fond de l’air s’entend dans la victoire des zadistes de NDDL et de ceux qui les ont soutenus : on peut gagner avec de la détermination et de la ténacité.
Maintenant à NDDL, on évoque comme dans les « guérillas », un territoire libéré, où les militants revendiquent de pouvoir vivre et travailler, comme dans le Larzac des années 1970.  Mais à une autre échelle, n’assiste-t-on pas à la même chose avec les logements occupés pour les sans logis, les bâtiments universitaires occupés pour des mineurs étrangers isolés, les squats abritant des migrants (9 sur la seule ville de Caen) ou des espaces militants, les mobilisations autour des menaces d’expulsion  d’élèves sans papiers…
Cela dure dans le temps et s’installe peu à peu dans le paysage social et politique au point où le personnage politique de l’année 2016 élu par les lecteurs de Nice Matin (journal plutôt à droite) est Cédric Herrou.
Récemment le FN a saisi l’occasion de la dispersion des habitants de la « Jungle » de Calais en organisant des manifestations de refus de leur installation dans les villes et villages. A chaque fois, des contre-manifestations favorables aux migrants dépassaient très largement celles de l’extrême droite. A Ouistreham, ville de  8700 habitants, on comptait plus de 1 000 manifestants le 19 décembre 2017 en soutien aux migrants et les habitants ont mis des étiquettes sur leurs portes pour dire aux migrants s’ils peuvent héberger, offrir à manger, un café…
La société est bloquée  au sommet : mais en opposition, un esprit de lutte « alternatif » s’est peu à peu développé baignant une grande partie du climat général et des « nouvelles » luttes, jusqu’au prolétariat.