jeudi 15 décembre 2016



Prônant une démarche uniquement humaniste dans un cadre associatif, un homme régente les faits et gestes des ressortissants roumains installés à Quimper. Ces derniers n'ont d'autre choix que de s'en remettre à lui et à ses lubies pour espérer un travail. Une enquête est en cours.

Dans une tribune publiée dans le journal Le Monde, lundi dernier, huit ministres du Travail de l'Union Européenne attiraient l'attention sur le sort des travailleurs détachés, estimant que « la liberté de circuler ne devait pas être celle d'exploiter ». Cet appel résonne étrangement à Quimper, où un rituel quotidien, à proximité de la cathédrale Saint-Corentin, ne laisse d'interroger. Chaque matin, à deux pas du parvis, face au bar-tabac-presse, un petit attroupement se forme entre 8 h 30 et 9 h avec, en son centre, un homme dépassant son auditoire d'une tête, parlant avec force gestes. Les passants matinaux l'ont baptisé « le prédicateur ».

« Association d'entraide et d'insertion sociale »


Ceux qui écoutent cet homme sont des ressortissants roumains. À ce jour, leur communauté rassemble, à Quimper, une cinquantaine de familles arrivées majoritairement depuis 12 à 18 mois. Personne ne le contredit car tous dépendent de lui, pour leur trouver un travail ou mener à bien les démarches d'aides sociales ou scolaires. En retour, « Djim » - c'est ainsi qu'il accepte d'être surnommé - exigerait une obéissance totale. L'intéressé explique oeuvrer dans un but humaniste (lire ci-contre), mais plusieurs éléments accréditeraient une forme d'emprise qu'il ferait peser sur ces familles déracinées, parlant peu notre langue. En premier lieu, ce serait par son entremise qu'elles parviennent à Quimper, en provenance de trois villes, dont Buzau et Sebes. « Djim », d'ailleurs, n'est pas cornouaillais d'origine. Il est né à Sarcelles, en avril 1968, et a fait une partie de ses études en Roumanie, en profitant pour se familiariser avec la langue. Il est apparu sur les radars quimpérois en janvier 2012, en créant, avec son épouse infirmière, une association dénommée « Association d'entraide et d'insertion sociale » (AEIS). Son siège était fixé 42, allée Yves-Elleouët. Il résiderait désormais à Cuzon.

Travailleurs détachés


Son but ? « L'accueil des personnes et leur accompagnement vers des structures administratives, sociales, scolaires et de formation ; l'animation d'un réseau d'intermédiation entre employeurs et demandeurs d'emploi saisonniers et permanents ». Dans les faits, c'est effectivement ce à quoi il s'emploie. Sauf que c'est donc lui qui organiserait la venue des familles roumaines à Quimper. Rien d'illégal à cela d'ailleurs : la Roumanie fait partie de l'espace Schengen. Ses ressortissants peuvent donc y évoluer à leur guise. Mais, arrivés à Quimper, ils sont bigrement cornaqués. Selon nos sources, les hommes seraient recrutés dans un premier temps. Une fois logés dans des appartements de personnes connues de Djim, ils font venir leur famille. Djim leur trouve les contrats auprès de maraîchers, notamment du Nord-Finistère, ou au sein d'abattoirs en demande de travailleurs détachés.

Profondément pieux


Il y aurait des contreparties : l'obéissance, donc, et une dévotion chrétienne assidue. Djim est profondément pieux. Après sa réunion du matin, il rejoint immanquablement la cathédrale pour un office au cours duquel il psalmodie des prières à voix haute et se met à genou sur les dalles, au point qu'il a déjà, par le passé, été repris à l'ordre par les prêtres en raison de sa pratique trop ostentatoire. Plusieurs Roumains assistent également à ces messes, même si certains sont chrétiens orthodoxes. Ils n'auraient pas le choix : si Djim estime qu'ils n'ont pas été assez méritants, ils doivent faire « pénitence » un certain temps avant de pouvoir à nouveau prétendre à un travail saisonnier. Cette drôle de « boîte d'intérim » perdure ainsi depuis des années, au su des autorités, qui soupçonnent une forme d'extorsion sans avoir pu, à ce jour, l'établir formellement. Les familles roumaines, esseulées, ne pipent mot. Dès que l'un de leurs membres est convoqué au commissariat, Djim tente de s'immiscer. À l'inverse, plusieurs professeurs et directeurs d'école doivent le garder à distance (lire ci-dessous). Un agent du conseil départemental a eu maille à partir avec lui en 2015. Un maraîcher s'est aussi inquiété du fait que les Roumains changeaient souvent, même si leur nombre restait identique. Il a alerté l'inspection du travail.